Et une crème patissière bien frappée ! [ft Benoit]

Si mon père était là, ça le ferait marrer d'apprendre que je vais bosser tout le mois d'août dans une pâtisserie - chocolaterie. Comme cet abruti a déserté en donnant toujours aussi rarement signe de vie, c'est Soren qui s'est chargé de me signifier l'humour de la situation. Haha. En vrai ça me fait marrer aussi. C'est juste que quand t'entends la blague cent-cinquante fois par jour par les clients, ça devient subitement beaucoup moins rigolo.

Ce qui est con parce qu'à part ça, c'est plutôt un cool boulot. L'endroit est chouette, je repars pas en puant la frite et la poubelle, pas de main aux fesses, et le patron est sympa. D'ailleurs c'est bizarre, parce que je me rappelais pas trop de lui, alors que c'est pas la première fois que je viens remplacer son employé habituel pendant ses congés. Je sais pas pourquoi il m'était sorti de la tête le Benoit, parce que pour le coup, c'est un mec en or. Gentil comme tout, poli, pas chiant... Si je pouvais bosser qu'avec des gens comme ça, ça serait top ! Quand j'avais reçu le message, j'avais un peu bugué, quelques secondes à me souvenir. Me suis d'abord dit que si j'avais zappé c'était pas pour rien, mais comme c'était un job pour un mois, je me voyais mal dire non ! Et puis j'avais pas mis les pieds depuis deux minutes dans la boutique que ça m'est revenu. J'ai vraiment trop de choses dans la tête moi en ce moment tiens !

M'enfin c'est pas grave. Parce que j'ai vite retrouvé mes marques, et que c'est toujours aussi sympa de bosser avec lui. Puis j'aime bien l'endroit. Et le chocolat. Et repartir avec des invendus de fois. Surtout que des fois je peux les offrir à ma coloc qui ferait presque un demi-sourire, truc incroyable ! Ça vaut donc le coup.

Aujourd'hui ne fait donc pas exception. J'arrive pour l'ouverture, tout sourire, un smoothie mangue - pêche pour moi et un smoothie aux fruits rouges pour lui. Histoire de commencer la journée sur une note légère.

"Salut Benoit ! Comment va ce matin ? Tu savais que y a des travaux ? Mon bus était dévié j'avais pas fait gaffe. Du coup j'ai dû finir en marchant. MAIS, je suis passée par une boutique qui faisait des jus de fruits frais et ça avait l'air cool. Jten ai pris un aux fruits rouges."

Ça changeait du café non ? Les fruits c'était toujours supra cool. J'avais déjà bien entamé le mien le temps d'arriver. Et malgré la marche imprévue, j'étais de bonne humeur. J'aime bien marcher. Puis Benoit fait partie de ces gens qui ont une aura qui apaise tout le monde. C'est donc partie pour tout mettre en place pour l'ouverture. Je le laisse me montrer ses promos du jour, ou ce qu'il veut réorganiser dans sa présentation, les ruptures et les nouveautés. Pas qu'il en ait tous les jours non plus, mais il est plutôt créatif ! Après c'est pas trop un soucis, j'ai l'habitude d'enregistrer les nouvelles infos... ça fait ça l'intérim au bout d'un moment !

"Ok boss, c'est tout enregistré. T'es prêt ?"

Grand sourire. C'est qu'il faut l'encourager le petit ! Des fois on dirait qu'il est surpris que sa boutique soit encore ouverte... alors bon, autant lui donner de l'entrain non ?

La journée commence donc. Toujours le matin un peu tranquille, et puis en général à partir de 10h ça commence à venir plus. Il a son client régulier là qui vient tous les jours. Un mec de la haute je crois. Maintenant quand je le vois arriver je laisse Benoit s'en charger, ça a l'air de lui faire particulièrement plaisir. Je sais pas trop comment lui dire qu'il vient sans doute pas juste pour les gâteaux... Enfin il doit bien s'en rendre compte quand même non ? M'en fous, moi pendant ce temps, j'ai le droit à la Mère Michelle, qui s'appelle sans doute pas comme ça mais qui me parle bien de son chat, avant de passer cinq minutes à causer cheveux parce qu'elle est fan de la couleur des miens, donc je me retrouve à lui expliquer comment faire. Hé, chacun ses fans !

Et une crème pâtissière bien frappée !

Souvent, les mardis, Benoît était de bonne humeur, parce que c’était le début de la semaine et que c’était toujours motivant, une semaine qui démarrait ! Parce qu’il était heureux de retrouver La cerise sur le gâteau et de remettre les mains à la pâte pour préparer les viennoiseries et les pâtisseries de la journée. En général, il avait plus de travail le mardi, comme il n’avait pas pu préparer certaines bases la veille, donc il venait plus tôt, mais ça ne ne le gênait pas, parce qu’il aimait les mardis. Et ça n’avait rien à voir avec la visite d’Ezéchiel Uriel Crowford, rien du tout… Bon, d’accord, peut-être que ça contribuait un peu - beaucoup - à le mettre de bonne humeur ! Même s’il n’était pas sûr qu’il viendrait parce qu’il ne venait pas non plus tous les mardis, mais presque. De toute façon, même s’il ne venait pas, ça n’empêcherait pas le pâtissier de savourer sa journée, d’autant plus qu’il faisait beau, ça jouait toujours sur son humeur de voir les rayons du soleil traverser les fenêtres de sa cuisine alors qu’il préparait ses pâtisseries en fredonnant par-dessus la radio.

Un peu moins de deux heures plus tard, toutes ses préparations étaient terminées et sa dernière fournée de croissants étaient au four, quand Benoît alla déverrouiller la porte de la boutique et tourna l’écriteau annonçant qu’il était ouvert. Bon, il avait quelques minutes d’avance, mais ce n’était pas bien grave. Il ne tarda pas, d’ailleurs, à accueillir Milka, son employée pour le mois, toujours aussi énergique, avec un sourire. Si de prime abord la demoiselle pouvait sembler bourrine, il savait que c’était une employée efficace, qui n’avait pas certes pas sa langue dans sa poche mais qui n’avait jamais causé de tort aux clients ou à la boutique. Elle était même appréciée par certains habitués, mais surtout par le patron qui appréciait son entrain et sa bonne humeur. Ce jour-là ne fit d’ailleurs pas exception et un sourire, amusé, presque un peu attendri, étira ses lèvres quand il écouta la musicienne parler avec une cadence impressionnante.

- Bonjour Milka, je vais bien et toi ? répondit-il avec calme et une pointe de douceur avant de récupérer le verre qu’elle lui tendait. Merci, c’est une très bonne idée en effet. Tu peux prendre une viennoiserie pour accompagner le tien avant qu’on commence si tu veux.

En général, il n’y avait pas grand monde à l’ouverture alors il pouvait bien se permettre de laisser à son employée le temps d’arriver correctement. Il la laissa poser ses affaires dans l’arrière-salle - qui servait surtout de cuisine - en goûtant son smoothie. Délicieux ! Il le posa ensuite sur le comptoir pour ouvrir la case du jour de son immense calendrier de l’avent - si on pouvait encore appeler ça comme ça - c’était sa nouvelle petite tradition depuis quelques jours, de découvrir la friandise du jour avant l’ouverture. Aujourd’hui, il eut droit à un caramel qui lui tira un sourire attendri, il le glissa dans la poche de son tablier avec la ferme attention de le manger après son repas, ce midi. Il reporta ensuite son attention sur Milka, qui revenait dans la pièce principale, pour répondre à la deuxième partie de son introduction.

- Les travaux ont commencé hier, ils devraient durer tout le mois, mais tu peux prendre le bus numéro 15, il me semble qu’il ne passe pas très loin de chez toi et il y a un arrêt à 200m d’ici, ça te fera sûrement moins de marche comme ça, surtout quand s’il fait moche. Oh, et merci pour le smoothie, il est délicieux !

D’ailleurs, il le termina en faisant le point avec Milka sur les nouveautés de la semaine, notamment les tartes et tartelettes aux fruits de saison, avant de l’aider à tout disposer dans les vitrines. Sans oublier de sortir les croissants du four, bien entendu. La boutique était ouverte officiellement depuis une dizaine de minutes quand ils terminèrent et que Benoît se retrouva gêné sous les propos de Milka.

- Tu sais, Benoît, ça suffit largement, pas besoin de m’appeler “boss”, fit-il remarquer gêné, les joues légèrement roses.

Il n’eut pas le temps de lui dire qu’il était, effectivement, prêt pour la journée, qu’ils furent dérangés par le carillon de la porte annonçant l’arrivée du premier client. Benoît essaya de se convaincre qu’il n’était pas déçu en constatant qu’il ne s’agissait pas d’Ezéchiel - sans grand succès - mais il accueillit tout de même la cliente comme il se le devait. Sa déception fut néanmoins de courte durée puisque le brun aux yeux bleus saisissants qui occupait souvent ses pensées entra dans la boutique, faisant instantanément naître un sourire sur les lèvres du chocolatier. Comme à son habitude, il le salua avant de préparer son sachet de viennoiseries - il avait d’ailleurs doublé les quantités qu’il préparait habituellement depuis trois mois à cause de lui - et de le laisser choisir sa pâtisserie du jour. Le sourire de Benoît s’agrandit encore un peu plus quand le choix du brun se porta sur ses nouvelles tartelettes. Il sélectionna la plus belle du lot et la glissa dans un carton estampillé du logo de sa boutique avant de lui souhaiter une bonne journée. Il le suivit du regard jusqu’à ce qu’il quitte la boutique et ensuite, seulement, ce qui l’entourait se rappela à son bon souvenir. Il remarqua alors que Madame Mangin était en pleine discussion avec Milka. Il attendit que sa cliente soit partie pour glisser à son employée :

- N'hésite pas à m’interpeller si tu trouves un client trop bavard, je sais que Madame Mangin a tendance à beaucoup accaparer l’attention, mais tu n’es pas non plus obligée de l’écouter religieusement pendant quinze minutes, d’accord ?

Il savait bien qu’en théorie, le client était roi, mais ça l’embêtait quand même de savoir que ses employés pouvaient se retrouver coincés dans une conversation à laquelle ils n’osaient mettre fin alors il préférait mettre les choses au clair. Même s’il ne doutait pas que Milka était capable de faire comprendre sans heurt - ou pas d’ailleurs - à quelqu’un qu’il dérangeait.

Ça serait bien si tous mes jobs alimentaires pouvaient se passer aussi bien, et si j'avais que des patrons dans le genre de Benoît. Mais je crois que je peux rêver. Alors en attendant on profite ! Ce matin, c'est donc moi qui invite à coup de smoothie. Parce que voilà, la gentillesse on a envie de la renvoyer à un moment. En plus on a même le droit de piocher une viennoiserie pour accompagner le tout, alors vraiment... que demande le peuple ? On aurait presque pas l'impression d'être au travail !

"Moh ! C'est gentil merci ! Ça va bien, on était en répétition hier aprèm et on a bien avancé sur les nouveaux morceaux, ça motive. Puis j'avais la cousine de mon meilleur pote qui venait passer la soirée à l'appart. On a bien rigolé !"

Puis c'était cool de voir Amber un peu sortir de sa coquille, enfin. Ça avait pris le temps, mais c'était cool de pouvoir enfin découvrir qui elle était vraiment, derrière toutes les couches de blindage derrière lesquelles elle a pris l'habitude de se cacher. En attendant, poser mes affaires, laisser Benoît découvrir la surprise du jour (c'était pas un peu chelou comme cadeau ça quand même ? Enfin ça avait l'air de lui plaire alors le reste...). Quand je reviens, notre cher pâtissier a la réponse à tous mes soucis de transport.

"Ha super ! Merci pour l'info. Pas que ça me gène de marcher, le matin c'est chouette, mais à mon avis le soir j'aurai plus la flemme. Surtout s'il pleut ouai... je regarderai ça. Contente si ça te plaît. Je nous en reprendrai à l'occasion."

Est-ce que ça me fait marrer de l'appeler boss ? Oui complètement. Du coup je me contente de lui répondre avec un grand sourire, l'air de dire "oui oui, bien sûr, je note je note". Je sais que Benoît ça suffit, je trouve juste ça rigolo. En vrai, j'abuse pas trop non plus. Il est foutu de beuguer complètement si j'insiste ! Mais à l'occasion, c'est marrant de voir sa bouille toute confuse.

Puis nous voilà partis pour la journée... Je laisse Benoît en tête à tête avec son prétendant, ce qui laisse le champ libre à Madame Mangin pour me raconter ses soucis du jour. Je l'aime bien, elle me fait rire. Puis comme y a pas trop la file, c'est pas un soucis. Quand elle s'en va, Benoît fidèle à lui-même vient m'expliquer que je suis pas obligée. Grand sourire innocent.

"T'inquiète, je sais, j'ai l'habitude. Mais elle vit toute seule maintenant, sa fille a quitté la ville, alors je crois qu'elle aime bien papoter. Comme y avait personne après elle, je me suis dit que ça gênerait pas. Je prends une Madame Mangin qui radote au lieu d'un vieux vicieux n'importe quand !"

Y avait des conversations qui valaient quand même mieux que d'autres... et puis pour des raisons diverses, moi j'avais pas de grand-parents, alors ça me faisait un peu une mamy par procuration !

Et donc on bavarde, on sert les clients au fur et à mesure qu'ils arrivent. Une journée tranquille quoi. J'étais occupé à compter des chouquettes (bon là pour le coup le mec me faisait chier et j'étais à deux doigts de les lui foutre dans le nez, sérieusement s'il avait pu me faire compter les grains de sucre, il l'aurait fait !), quand un bruit fracassant m'a fait lâcher mon sachet : quelqu'un venait de passer à travers la vitrine. Enfin deux quelqu'un même. En train de se battre.

"WHAT THE FUCK !"

avant de me mettre à jurer en norvégien... Là pour le coup, c'est un brin la panique dans la boutique...

Et une crème pâtissière bien frappée !

Travailler avec Milka, c’était différent que de travailler avec son employé habituel, mais ce n’était pas déplaisant pour autant. Différent, mais agréable. C’était d’ailleurs pour ça que cette année, quand il avait dû chercher un remplaçant, il avait expressément demandé à l’agence d’intérim si la demoiselle était disponible, parce que le courant était bien passé avec elle l’année dernière, et que c’était toujours le cas cette année-là. Benoît appréciait l’énergie de la demoiselle, le fait qu’elle semblait toujours naturelle et à l’aise partout. Il enviait un peu ce côté-là d’ailleurs, mais ça lui permettait surtout de plus l’apprécier. Ce matin ne fit pas exception, elle lui répondit avec son entrain familier quand il lui demanda comment elle allait. Il était content de savoir que la répétition de son groupe s’était bien passé, il avait un peu suivi les déboires de son groupe depuis le début du mois, notamment l’impossibilité de faire des concerts en juin à laquelle ils avaient dû faire face, alors il était content que les choses s’arrangent.

- C’est une bonne chose si la répétition s’est bien passée, et si tu as passé une bonne soirée ! C’est important de s’amuser, surtout à ton âge.

Bon, lui, quand il avait son âge, il ne s’amusait pas tant que ça, mais il avait toujours été très introverti alors il n’était pas un exemple à suivre. Le principal, c’était que Milka profite de sa jeunesse, ce qui avait l’air d’être le cas donc tant mieux. Il laissa son employée aller ranger ses affaires et attendit son retour pour lui donner des nouvelles sur les travaux qui avaient lieu un peu plus loin mais également sur les modalités de transport.

- Si tu as besoin de partir un peu plus tôt certains soirs pour attraper un bus, n’hésite pas à m’en parler, d’accord ? lui demanda-t-il très sérieusement en lui jetant un coup d'œil au milieu de son rangement de gâteaux.

Leur petite pause se termina avec l’arrivée des premiers clients, dont Ezéchiel qui, comme souvent, tira un sourire content au pâtissier. Le pire, c’était qu’il ne cherchait même pas à le nier ! Milka ne lui en avait jamais vraiment parlé, mais il avait comme l’impression qu’elle avait compris d’elle-même que c’était un client particulier pour lui. Sûrement parce qu’il était trop transparent. Pendant ce temps, la musicienne devait s’occuper de madame Mangin qui semblait d’humeur bien bavarde aujourd’hui. Il profita d’ailleurs d’une accalmie pour rappeler à son employée qu’elle n’était pas obligée d’écouter les clients quand ça durait trop longtemps. La réponse qu’elle lui apporta lui tira un sourire attendri. Il n’y avait pas à dire, Milka c’était une personne au grand cœur. Rassuré sur ce point, ils retournèrent tous les deux à leur travail et la matinée passa à une vitesse folle. Jusqu’à ce qu’un bruit inattendu ne retentisse dans la boutique.

SCHLIIIIIING !!!

L’instant d’après, un silence de mort envahit la boutique. Jusqu’à ce que Milka ne rompe l’instant en jurant. Après quoi, la panique reprit ses droits, une cliente poussa un cri horrifié, un enfant se mit à pleurer en se cachant derrière les jambes de son père, certaines personnes se mirent à pester contre les jeunes qui n’avaient plus aucun respect pour rien, Milka jura dans une langue qu’il ne comprenait pas. Et Benoît… Benoît regardait les débris qui avaient composé sa vitrine encore un instant plus tôt, sous le choc, ayant du mal à réaliser ce qui venait de se passer. Il entendait à peine le vacarme ambiant puisqu’il était incapable de se focaliser sur autre chose que sur le trou béant au milieu de sa vitrine. Il n’arrivait pas à assimiler ce qui venait de se passer, il n’arrivait pas à concevoir que des bouts de verre se trouvaient un peu partout, que deux hommes étaient toujours en train de se battre, au sol, que certains clients avaient fui sa boutique adorée pour quelque chose sur laquelle il n’avait aucune influence. Il se sentait juste défait de voir toutes ces années de travail voler en éclat aussi facilement.

Quand il reprit, enfin, ses esprits, la situation n’avait pas vraiment changée. Ses clients restants s’étaient massés dans un coin de la boutique, tandis que Milka cherchait un moyen de séparer les deux guignols qui semblaient trop pris par leur querelle pour se rendre compte qu’ils roulaient au milieu des débris de verre. Il n’avait aucune idée de comment gérer cette débâcle mais il savait qu’il ne pouvait pas rester les bras ballants sans rien faire. Pas alors que des gens risquaient d’être blessés s’il ne faisait rien.

- Ça suffit maintenant ! tenta-t-il en prenant une grosse voix, dans l’espoir de faire s’arrêter le cirque qu’il contemplait, impuissant.

Malheureusement, sa tentative n’eut aucun effet, ce qui ne l’arrangeait absolument pas. Les bagarres, et les conflits en général, il ne savait pas comment les gérer, c’était quelque chose qui le mettait mal à l’aise, qui lui faisait peur même, mais là, dans cette situation, il devait prendre sur lui et essayer d’agir. En espérant que ça ne soit pas inutile. En désespoir de cause, il se tourna vers l’un des clients, qui semblait moins sous le choc que les autres, et lui demanda d’appeler la police vu qu’il n’avait pas de téléphone sur lui.

C'est toujours sympa les moments de bavardage avec son patron ! Quand ça se passe bien comme ça t'es content d'aller au boulot. Bon après Benoît est beaucoup trop gentil... J'espère que son employé habituel est réglo parce que y aurait quand même grave moyen de lui marcher sur les pieds vu comment il fait pas gaffe ! Faudra que je vois pour les horaires de bus. Au pire, ça me gène pas de traîner un peu ou de marcher. Toute façon, comme je bouge souvent avec le boulot, soit pour retrouver des potes, soit pour rejoindre Adèle, on va dire que la ligne pour rentrer chez moi, c'est pas ma priorité... Mais c'est gentil de sa part ! Et connaissant Adèle, pas impossible qu'un jour j'ai besoin de filer plus tôt... C'est sûr que quand t'es riche de base tu te soucis pas trop des emplois du temps des autres...

La matinée passe donc normalement entre les bavardages de clients. Rien d'inhabituel ou de transcendant à noter. C'est pas désagréable non plus, la flemme de me prendre la tête avec des clients chiants ! Encore que j'aurais préféré en fait. Parce qu'à la place, on a juste deux mecs qui sont tellement occupés à se fighter qu'ils passent à travers la vitrine. Je jure... pendant ce temps une minie panique s'installe, et Benoît freeze un peu, tandis que les autres clients oscillent entre la panique plus ou moins marquée, et l'envie de se marrer.

"Je gère."

Parce qu'on va pas attendre 107 ans que ça redescende tout seul non plus hein ! Puis c'est pas vraiment mon genre de toute façon. Je file dans l'arrière boutique récupérer un seau que je remplis d'eau froide à l'arrache. Pas que je pourrai pas étaler ces deux crétins à moi toute seule... J'en étais déjà capable à 12 ans, merci papa. Mais avec la masse de bris de verre, disons que moins ça me coûtera d'efforts, mieux ça sera.

Quand je reviens, Benoît est sorti de sa transe et tente vaguement d'appeler au calme. Bon, si c'est l'une des personnes les plus gentilles que je connaisse, par contre il a le charisme d'une huître au soleil... Sans trop me faire prier, je lui passe donc devant et déverse le contenu de mon seau sur les deux types en train de se battre. Les deux se pétrifient complètement sous la surprise, j'en profite donc pour foutre ma rangers sur l'épaule du type à terre, et de tordre le poignet de l'autre, histoire que tout ce beau monde reste bien en place.

"Votre mère elle vous a jamais dit que c'était pas bien de se battre ???"

J'hésite un peu à les faire repartir d'office, histoire qu'on puisse nettoyer... Mais pour l'assurance, ça serait mieux que la plainte de Benoît puisse aboutir... Regard vers lui d'ailleurs.

"Tu as appelé les flics ?"

Histoire de savoir combien de temps ils vont mettre à venir. Non parce que je pourrais les attacher, mais je vais me faire engueuler par les flics si je fais ça, paraît que c'est mal. Donc faudrait au moins qu'on ait leur nom et contacts.

[Activation du pouvoir Monsieur-tout-le-monde niveau 2 : Souvenir flou]

Et une crème pâtissière bien frappée !

La cerise sur le gâteau était prospère, elle venait de fêter ses trois ans d'ouverture et Benoît n'avait pas connu de problèmes majeurs avec sa boutique. Jusqu'à maintenant. Il avait encore du mal à réaliser que sa vitrine venait de voler en éclats et pourtant, c'était bien le cas. Les morceaux de verres qui jonchaient le sol en étaient la preuve. Tout comme les deux imbéciles qui étaient toujours en train de se battre, à même le carrelage, et qui ne prêtèrent pas la moindre attention à sa tentative d'autorité pour ramener le calme dans la boutique. Génial… Il avait vraiment besoin de ça pour saper un peu plus son moral. Qu'est-ce qu'il pouvait bien faire d'autre ? Il n'en avait aucune idée, mais ce fût ce moment que choisit Milka pour surgir de la cuisine, armée d'un seau. Il ne savait pas vraiment ce qu'elle avait en tête mais il choisit d'instinct de lui faire confiance. Peut-être parce qu'elle dégageait une confiance en elle inébranlable, ce qui était loin d'être son cas.

Désireux de ne pas rester simple spectateur sans rien faire, il se tourna vers les clients qui étaient massés de l'autre côté de la boutique. Il repéra l'un de ses habitués qui semblait moins choqué que les autres et lui demanda d'appeler la police, solution plus rapide que de courir en cuisine récupérer son portable. Ce qui se confirma quand le client s'exécuta sans attendre. Au même instant, un immense bruit d'eau se fit entendre et Benoît tourna la tête dans cette direction pour remarquer que Milka avait renversé son seau, apparemment rempli d'eau, sur les deux bagarreurs. Au moins, ça avait eu le mérite de les calmer immédiatement. C'était beaucoup plus efficace que de monter le ton, aussi se nota-t-il cette astuce, au cas où une situation pareille se renouvelait, ce qu'il n'espérait pas. Une grimace lui échappa malgré lui quand il vit son employée tordre le bras de l'un des jeunes hommes pour ensuite les enguirlander. Il avait beau ne pas cautionner leurs actes, il ne pouvait s'empêcher de compatir à leur situation, quand bien même elle était méritée. Milka se tourna ensuite vers lui pour lui demander s'il avait contacté la police mais il n'eut pas le temps d'ouvrir la bouche que son client répondit à sa place.

- C'est fait, ils arrivent dans une dizaine de minutes, annonça l'homme d'un certain âge en rangeant son téléphone.

Bon, au moins, ils n'auraient pas beaucoup à attendre. Benoît poussa un soupir pour se donner du courage et s'avança vers la scène insolite. Doucement, il tapota la jambe de Milka pour lui demander de la pousser puis il releva le bagarreur ainsi libéré avec une poigne ferme insoupçonnée. L'avantage de soulever régulièrement des sacs de farine ou des plateaux de gâteaux. Sans lui laisser le loisir de se débattre, il l'entraîna dans un coin de la pièce, en faisant signe à la demoiselle de le suivre, et posa un peu rudement le délinquant sur un tabouret.

- Vous restez là, sans bouger et sans rien dire jusqu'à ce que la police arrive ! ordonna-t-il d'un ton ferme avant de se tourner vers Milka. Tu veux bien les surveiller ? Je vais m'occuper des clients…

Il rejoignit ensuite le petit groupe qui s'était formé et s'excusa auprès de sa clientèle pour la gêne occasionnée en les informant qu'il allait devoir fermer la boutique. Certains d'entre eux acceptèrent de rester pour témoigner de la scène tandis que d'autres s'en allèrent, certains en maugréant. Benoît se sentait désolé pour eux mais étant donné la situation, il ne pouvait pas continuer de les servir. Il prit néanmoins le temps de rassurer les personnes sous le choc et de rassurer ses habitués sur l’ouverture certaine de la boutique dans les prochains jours. Il raccompagna même certains d'entre eux jusqu’à la porte, inconscient du fait qu’il s’effaçait par la même occasion de leur mémoire, vu qu’il n’était même pas au courant qu’il était doté d’un super-pouvoir et donc ignorant que son niveau deux venait de se déclencher. Quand il termina avec ses clients, une paire de policiers entra dans sa pâtisserie. Effectivement, ils n'avaient pas mis très longtemps, l'avantage d'avoir un commerce dans la City sans doute.

La journée avait pris un tour un brin inattendu. Pas que j'aimais pas l'animation, mais disons qu'il y avait un temps et un lieu pour tout... et que j'ai pas spécialement envie de me battre sur mon lieu de travail. En tout cas pas sur mon lieu de travail officiel on va dire. Pour le reste, ça fait presque partie de la fiche de description ! Même si Adèle dirait que c'est parce qu'on a raté quelque chose. Mais bref, pas trop le temps de réfléchir. Des fois faut juste agir. Donc sans trop réfléchir, et histoire de pas avoir à me rouler dans les bris de verre, suis partie remplir un seau de flotte pour arroser copieusement les deux crétins du jour avant de les immobiliser. Vraiment, ça vaut bien la peine de se donner en spectacle de la sorte si c'est pour être infoutu de se battre correctement et être mis hors d'état de nuire en un claquement de doigt ! Les gens sont décevants, que voulez-vous. Même pas foutu de résister un minimum ! J'aurais pu m'en débrouiller à 12 ans... jte jure...

Bon le truc c'est que dans ce boulot-là, ça serait mal vu de les assommer. Ou de les ligoter dans la cave. Ce qui est bien dommage si vous voulez mon avis ! Pas de ma faute s'ils l'ont cherché... mais dans la vraie vie du reste des gens, il faut appeler la police. Yaks. Ça me ferait rire qu'on nous envoie Deirdre. Bon elle elle rira pas, l'ironie de la situation risque de lui échapper un tantinet ! Dix minutes donc...

Une tape sur ma jambe, le zozo par terre qui aurait trouvé le moyen de bouger ? Ha non, Benoït qui nous a rejoint et qui vient récupérer l'un des deux gus. Pas con, c'est peut-être pas plus mal si on reste pas en plein milieu de la boutique...

"On devrait les mettre derrière, ça sera plus facile..."

Non parce que là, si j'ai pas le droit de les attacher au sol, y a quand même toute une vitrine pour se barrer en courant ! D'autant que bon, pas besoin de partir trop trop loin non plus. On a quand même vue sur la pièce principale. J'emboîte le pas à Ben qui arrive plutôt bien à tenir son gus sage. Ça râle, mais il a plus de poigne qu'il en a l'air. Comme quoi, faut se méfier de l'eau qui dort !

"Ouai pas de soucis. Je te les garde !"

Benoît retourne donc s'occuper de tout le monde, tandis que je me pose face à deux crétins qui prennent gentiment conscience des bleus qu'ils se sont respectivement faits. Je ne manque pas d'afficher un grand sourire amusé à les voir râler et grogner et regarder autour en se demander s'ils ont une chance de se pouvoir se barrer avant que les flics arrivent.

"Alors... vous pouvez essayer, mais ça va juste m'énerver en fait. Vous devriez peut-être profiter de cette pause pour faire la paix !"

Les deux se regardent donc, et repartiraient presque pour s'engueuler, mais heureusement pour eux, c'est le moment que les flics choisissent pour se pointer. Je leur laisse la place, déçue de ne pas voir Deirdre se pointer ! Les types me jettent un regard, auquel je réponds par un grand sourire.

"Je vous les laisse, ils sont tout chaud."

Les flics nous expliquent alors qu'ils vont emporter les deux gars, et récolter les témoignages. Le temps qu'ils récupèrent un peu les deux gus, je retourne retrouver Benoît.

"Hey, tu veux t'organiser comment ? On offre le café aux gens qui restent témoigner ? Histoire que ça soit un peu moins tendu ? Oh et est-ce que tu as les mesures de ta vitrine, genre sur un plan ? Il va falloir qu'on aille acheter de quoi la boucher..."

Certes, je vais ptet commencer par balayer, mais on peut pas lui laisser sa vitrine béante comme ça...

Et une crème pâtissière bien frappée !

Le choc était légitime étant donné la situation, ce n’était, fort heureusement, pas tous les jours qu’il voyait sa vitrine voler en éclat de la sorte, mais Benoît prit sur lui et se força à se ressaisir. Rester les bras ballants ne ferait pas avancer les choses et l’inactivité n’avait jamais été son fort. Cette boutique, il l’avait développée à la sueur de son front, il travaillait pour sa survie jour après jour, s’efforçant de s’améliorer chaque mois pour attirer de nouveaux clients et faisant de chaque évènement une meilleure réussite que l’année précédente. Ce n’était pas une vitrine cassée qui allait l’arrêter non plus ! Décidé à prendre les choses en main, le pâtissier sortit de son immobilité et alla rejoindre son employée du mois pour remettre les deux bagarreurs sur pieds et les stocker dans un coin en attendant l’arrivée de la police. Quand Milka lui suggéra de les mettre à l’arrière, pour plus de facilité, il jeta un petit coup d'œil sceptique dans cette direction avant de secouer négativement la tête. Si ça pouvait sembler être une bonne option, en fait, c’était surtout une mauvaise idée.

- Je préfère pas, il y a des couteaux dans la cuisine et beaucoup de matériel cher, ils ont fait assez de dégâts comme ça, répondit-il en entraînant son colis dans un coin de la boutique.

Il assit ce dernier sur un tabouret, demanda à la jeune femme de les surveiller et s’en alla rassurer ses clients. Certains se montrèrent compatissant avec lui mais d’autres se contentèrent d’exprimer leur mécontentement suite au désagrément survenu, comme s’il y pouvait quelque chose lui ! L’arrivée de New Scotland Yard eut au moins le mérite de calmer la situation et, en jetant un coup d'œil par-dessus son épaule, il vit les deux idiots pâlir à l’arrivée des forces de l’ordre. Comme annoncé au téléphone, ils avaient été rapides à venir et c’était tant mieux ! Peut-être que ça éviterait à la situation de dégénérer. Il répondit à quelques questions avant que deux des officiers n’emmènent les fauteurs de trouble au poste tandis que les deux restant se chargèrent de recueillir les témoignages des clients. Milka s’approcha de lui à ce moment-là pour lui demander la marche à suivre. Ah, ce n’était pas bête d’offrir du café aux témoins, ça les aiderait à se calmer, peut-être, et ça les dédommagerait pour l’incident. Quant à la vitrine, ils s’en occuperaient quand la boutique serait déserte.

- Bonne idée ! Je vais aller préparer le café, pendant ce temps, je te laisse servir la pâtisserie de leur choix à ce qui reste. Je pense qu’on va fermer pour le reste de la journée donc ça évitera le gaspillage, pour la vitre, on s’en occupera après, décréta-t-il en jetant un regard à sa vitrine bien remplie.

Certaines pourraient peut-être se garder jusqu’au lendemain mais pour les autres, surtout celles à la crème, il préférait ne pas prendre de risque. Il avait comme l’impression qu’un dîner dessert les attendait, Devon et lui. Il finit par se détourner de ses pâtisseries pour rallier sa cuisine en contournant le plus gros des débris. Il faudrait qu’il s’occupe de ça après avoir préparé le café. Une fois arrivé dans sa tanière, il alluma la cafetière et fit chauffer du lait, il avait remarqué plusieurs enfants qui accompagnaient leurs parents, alors il comptait leur proposer du chocolat chaud. En attendant que tout chauffe, il sortit son téléphone pour prévenir Ezéchiel que ce n’était pas la peine de venir le chercher ce soir, ça le peinait, mais il ne savait pas pour combien de temps il en aurait de tout nettoyer alors il préférait ne pas le faire attendre. La réponse ne tarda pas à arriver et, bien sûr, Ezéchiel étant Ezéchiel, il lui demanda immédiatement ce qu’il s’était passé. Il lui raconta succinctement et quelques minutes plus tard, il eut la surprise de voir que son petit ami avait déjà contacté quelqu’un pour le remplacement de la vitre et que l’artisan viendrait dans la journée pour prendre les mesures et tout réparer. Bah dis donc, ça, c’était de l’efficacité ! Avec tout ça, il faillit faire brûler son lait mais il réagit juste à temps. Une fois les boissons prêtes, il posa le tout sur un plateau, avec des gobelets en papier - il n’avait pas mieux à proposer - et retourna dans la boutique pour servir les boissons chaudes.

- Tout se passe bien ? demanda-t-il à Milka en passant près d’elle.

Il s’inquiétait peut-être trop, mais il n’avait pas envie qu’un nouvel incident se produise aujourd’hui ! Les policiers étaient en train de recueillir les témoignages pendant que les clients qui ne se faisaient pas interroger mangeaient une pâtisserie, un peu à l’écart. Il s’approcha du petit groupe pour servir café et chocolat chaud.

Haussement d'épaules. S'il veut. Je doute que nos deux crétins soient du genre à s'attaquer au couteau. Ça a plus l'air de deux abrutis qui ont oublié qu'il y avait un monde autour une fois qu'ils étaient lancés à se foutre sur la tronche. Je crois que maintenant ils se sentent plus cons qu'autre chose. Mais bon, c'est Benoit le boss. Alors on va pas discutailler, c'est pas comme si ça changeait grand chose non plus. Va pour le coin de la boutique. De toute façon, les flics arrivent plutôt vite et les gars font clairement moins les malins en les voyant arriver. Bah oui bandes de rigolos... et maintenant qu'on avait refilé la patate chaude aux poulets, il allait falloir gérer les clients et réparer les dégâts. Au moins c'était que de la casse, et juste une vitrine. Benoit serait pas trop emmerdé. Enfin d'abord, il allait falloir gérer les clients encore présents... C'est que t'en avais quand même pour râler. J'aurais bien fait une distribution de beignes en plus du café, mais Benoit a l'air de penser qu'il vaut mieux distribuer des beignets. Ou d'autres pâtisseries. Trop gentil ce garçon... Je hoche la tête, et le temps qu'il aille faire du café je prends donc une grande inspiration et nous voilà partis...

"Mesdames et messieurs ! Pour vous remercier de votre patience et de votre collaboration, nous vous offrons un petit déjeuner improvisé et tardif. Votre pâtissier préféré est parti faire du café pour tout le monde, et nous vous invitons à choisir la pâtisserie de votre choix."

Petite pause dramatique. Un peu de spectacle et de cérémonial ça fait pas de mal après tout ça.

"Attention toutefois ! La boutique a atteint son quota de bris de verre pour la journée. Qui plus est le verre pilé fait un très mauvais accompagnement de gâteaux vous en conviendrez."

Bon, au moins la plupart des gens commencent à se détendre un peu. En même temps, de base, les gâteaux de Benoit sont excellents, alors si en plus ils sont gratuits... et bah le premier qui râle j'y fais bouffer une tarte au verre pilé, avec ou sans l'accord de mon patron chéri !

"Je vous invite donc à venir tranquillement chacun à votre tour choisir votre petit bonheur du jour."

Je reprends ma place au comptoir et les gens se mettent en mouvement pour venir choisir. La plupart des gens sont bienveillants et compatissants et respectent plutôt bien le truc. Non parce que hors de question que ça vire à la foire d'empoigne... On est gentil mais faut pas déconner non plus. Toute façon, dès qu'il y en a qui veut marcher sur les pieds des autres pour passer plus tôt, je fais les gros yeux et mine de pas l'avoir vu. Nan mais. On était cinq à la maison, crois moi, je connais le bordel ! Benoit arrive alors avec café et chocolat chaud. Malin !

"Ça va bien. La plupart des gens sont plutôt cools et un gâteau ça fait toujours plaisir. J'ai menacé les râleurs de manger de la tarte au verre pilé. C'est bon tu leur dois rien non plus, c'est pas comme si t'étais responsable, faut pas abuser..."

J'aime pas l'injustice... ok, Ben fait un geste, c'est généreux de sa part, sans doute commercial. Et c'est cool franchement, j'ai plein de patrons qui l'auraient pas fait. Mais du coup y en a qui abusent aussi. Et ça, no way.

Une fois que tout le monde a eu sa pâtisserie, j'accompagne donc Benoit à faire la distribution de café et de chocolat. Très vite, tout le monde a à boire et à manger. Je réponds aussi aux questions des flics et je laisse Benoit gérer le reste. Petit à petit, la boutique se vide. Maintenant que ça se calme, et qu'il y a moins de monde, j'en profite donc pour aller chercher un balais et commencer le ménage...

Et une crème pâtissière bien frappée !

S’éclipser dans la cuisine, le temps de préparer café et chocolat chaud, fit du bien à Benoît, ça lui permit de se remettre les idées en place, mais aussi d’échanger avec Ezéchiel, son petit ami. Il se sentait désolé de devoir annuler leurs plans pour ce soir, mais c’était sans doute plus sage, il n’avait aucune idée du temps que lui prendrait le nettoyage de la boutique et il ne voulait pas faire attendre son chéri. Tant pis, ils se verraient plus tard. Néanmoins, l’indignation et l’efficacité de son petit ami le soulagèrent et l’attendrirent tout à la fois. Grâce à lui, il n’avait plus à se soucier de la réparation de sa vitrine puisqu’Ezéchiel avait tout géré. Il ne lui restait donc plus qu’à nettoyer, et contacter l’assurance, mais ça, il s’en chargerait plus tard. Chaque chose en son temps. D’abord, servir le café et le chocolat chaud aux clients, gérer la police et l’entreprise de réparation et ensuite, il aviserait.

Armé d’un plateau, il rejoignit la pièce principal de sa boutique et, après s’être assuré que tout allait bien auprès de Milka, qu’il remercia d’un signe de tête, il se chargea de la distribution. Au moins, ça permettait aux clients de patienter en attendant que les policiers les interrogent et ça accompagnait les pâtisseries. Il préférait que les clients en profitent plutôt que de tout jeter à la fin de la journée vu qu’il ne pouvait pas rester ouvert. Une fois les clients partis, il fit un point avec le personnel de New Scotland Yard, répondit à leur questions et les invita à se servir à boire, accompagné de la pâtisserie de leur choix, avant qu’ils ne s’en aillent. Apparemment, son geste fut apprécié puisque l’un des deux policiers lui promit de lui envoyer avant la fin de la journée son rapport pour l’assurance. C’était rassurant de savoir que, même dans les moments difficiles, on pouvait croiser la route de personnes bienveillantes. Ce n’était peut-être pas grand-chose aux yeux du policier, mais pour Benoît, ça lui faciliterait la démarche. Quand il se retrouva seul dans la boutique avec Milka, il se tourna vers elle, un léger sourire aux lèvres.

- Merci pour ton aide, tu as été très efficace avec les clients et les deux bagarreurs, fit-il remarquer avec un regard reconnaissant. Que dirais-tu d’un café ou d’un chocolat chaud avant d’attaquer le nettoyage ? proposa-t-il gentiment avant de tourner la tête vers la vitrine réfrigérée qui contenait encore pas mal de douceurs. Tu pourras prendre quelques pâtisseries ce soir, avant de partir, si tu veux.

Pour sa part, il se servit un gobelet de chocolat chaud qu’il commença à boire quand l’entreprise de réparation arriva. Effectivement, ils avaient été rapides, comme l’avait promis Ezéchiel. Il se tourna vers Milka pour lui expliquer rapidement qui ils étaient.

- Ah, c’est l’entreprise pour réparer la vitrine, je m’en occupe, prends ta pause pendant ce temps !

Il rejoignit ensuite les nouveaux arrivants, qui se présentèrent et lui expliquèrent qu’ils allaient prendre des mesures pour réparer la vitrine dans les plus brefs délais. Il apprit par la même occasion qu’un verre bien plus solide allait être installé pour éviter qu’un autre indicent de ce genre se produise mais également que son petit ami se chargeait de faire remplacer l’autre vitre, encore intact, pour la renforcer. Son Ezé… Il pensait vraiment à tout ! Il faudrait qu’il pense à le remercier convenablement pour tout ça ! Il laissa les artisans faire leur travail et prendre les mesures après un rapide échange sur la façon de procéder. Suite à quoi, il alla récupérer balais, pelles ainsi qu’une grosse poubelle pour ramasser le verre qui jonchait le sol de la pâtisserie.

- Prête à ramasser les dégâts ? lança-t-il à son employée sur un ton qu’il espérait plein d’entrain.

Il se mit au travail, en commençant par le côté opposé de la vitrine de la boutique, pour ne pas déranger les artisans. Il y en avait tellement partout que c’était difficile de savoir par où commencer donc autant choisir comme ça. Sans surprise, la poubelle se remplissait rapidement, pourtant, il n’avait pas l’impression d’avancer dans la tâche tant le travail était titanesque. Heureusement, les artisans s’étaient chargés, avant de partir, de boucher le trou à l’aide de planches de bois en attendant la nouvelle vitrine qui serait posée le lendemain. Au moins, c’était toujours ça de pris !

On avance, je crois. On sert café chocolat chaud. Les flics prennent les dépositions de tout le monde. Ça paraît beaucoup de paperasses inutiles pour une vitrine cassée mais bon... En même temps, les assurances c'est pas trop le genre à te prendre pour ton pote et te filer tes thunes facile ! Au moins Ben sera couvert on va dire. J'imagine qu'on va passer la fin de la journée à faire le ménage. Après... tout va dépendre quand la vitrine sera changée. Va falloir ce que je lui demande ce que ça veut dire pour moi niveau emploi. Fais chier ! Mais bon pour le moment il est occupé à gérer tout ça. Alors c'est pas l'urgence. Enfin pas pour lui... moi faudra bien que je sois fixée assez vite quand même !

Finalement, la boutique se vide petit à petit, et on se trouve tous les deux. Ça va donc être l'heure du ménage ! Enfin petit pause avant quand même. C'est que c'est vite un peu bizarre ce genre de début de journée quand même...

"De rien ! Je vais pas dire non à un chocolat tiens. Ça fera pas de mal avant de tout ramasser."

Bon j'avoue je frétille de joie quand il annonce qu'on va pouvoir ramener des restes à la maison. J'adooooore les gâteaux, et ceux de Ben sont délicieux.

"Super merci ! Ça fera grave plaisir à ma coloc. Enfin elle fera semblant qu'elle s'en fout comme d'hab mais elle sera contente je suis sûre."

On s'habitue au minimalisme de Dee. Encore qu'elle commence à me faire des blagues par ci par là. Un sacré progrès par rapport au début de notre cohabitation ! Comme quoi, tout finit par arriver. Donc je compte bien continuer mes efforts pour dérider notre chère petite porte de prison humanisée !

L'entreprise de réparation arrive drôlement vite, j'avoue que ça je m'y attendais pas ! Pendant deux secondes je me suis dit qu'il allait falloir acheter les plaques de préfa et tout le bordel. Vite chiant à faire. Au final j'ai même gagné une pause... Direction l'arrière-salle, j'embarque mon chocolat et ressors mon portable pensant faire un rapide tour sur instagram pendant quelques minutes. Sauf qu'en fait j'ai un mail de Tomas avec le mix d'une des nouvelles chansons pour notre premier album. Regard rapide vers la salle, Benoit est toujours en train de parler avec les gens de l'entreprise. J'ai bien le temps de sortir mes écouteurs pour écouter tout ça. Et ça rend trop bien ! je peux pas m'empêcher de fredonner en même temps... résultat le bruit des gens qui s'en vont me sort un peu de ma transe. Perfect timing ceci dit. Je range vite fait mon téléphone et passe par les placards pour récupérer tout ce qu'il nous faut pour nettoyer. Ça va être le défilé des balais et serpillère ! Au moins cette petite pause m'a reboosté et m'a fait penser à autre chose que mon possible chômage technique des jours à venir.

"Yeup ! Tant qu'à faire, tu veux pas qu'on en profite pour faire un grand ménage de printemps ? Quitte à pas avoir de clients pour la journée, autant tout nettoyer en grand non ? Y a des zones que tu peux pas faire régulièrement ?"

De toute façon ça pourra pas être pire que quand j'ai aidé Scar à remettre la pizzeria en état à peu près correct.

"Et tu sais quoi ? Un grand ménage ça ne se fait pas en silence ! Alors monsieur Silverwood, c'est quoi votre jam pour le graaaaaaand ménage ? Promis je ne juge pas ! C'est juste plus sympa comme ça."

Moi j'ai plein d'idées, comme d'hab. Mais bon, si ça peut le détendre un peu, autant qu'il en profite. Puis bon, je suis pas non plus trop difficile en musique, même si j'aime pas tout. Toute façon ça sera mieux que le silence, et je peux rendre n'importe quelle chanson épique. Au pire, je lui apprendrai à faire de la air guitar sur un balais ! Même si quand même, on a tous déjà fait ça non ? Puis bon, c'est peut-être aussi le moment de papoter un peu non ? Je commence à ramasser les gobelets de café qui ont été déposé un petit peu partout tout en lançant la conversation.

"Alors, raconte moi cher Benoît, qu'est-ce qui t'a motivé à ouvrir ta boutique ?"

Et une crème pâtissière bien frappée !

Un sourire content étira les lèvres du pâtissier quand son employée du mois montra avec enthousiasme qu’elle était contente de pouvoir repartir avec des pâtisseries une fois sa journée de travail terminée. Lui, il était content de faire plaisir, de ne pas gâcher ces gâteaux qu’il avait durement préparé et si, en plus, ça permettait à Milka de partager un bon moment avec sa colocataire, tout le monde était gagnant dans l’histoire ! Lui, il savait déjà que Devon serait heureux de le voir rentrer avec une boîte bien garnie. Rien que de penser à la joie de son colocataire quand il verrait tout ça, il se sentait un peu moins peiné par la catastrophe qui venait d’avoir lieu. Bon, en réalité, son échange avec Ezéchiel y était pour beaucoup. Il avait tellement de chance d’avoir un petit ami tel que lui, des fois, il se demandait ce qu’il avait fait pour mériter tout ça mais, la plupart du temps, il se contentait juste de savourer sa relation encore neuve avec son beau brun.

Il n’eut pas l’occasion d’approfondir plus la conversation puisque l’entreprise qui réparerait la vitrine arrivait. Même si Ezéchiel l’avait prévenu que ce serait rapide, il était étonné par leur efficacité. Et soulagé, aussi, de savoir qu’il n’aurait pas à perdre des heures au téléphone a essayé de trouver des gens compétents qui pourraient s’occuper des réparations rapidement. Le téléphone, ce n’était pas vraiment son truc, même s’il s’y pliait régulièrement, à cause des commandes clients ou des fournisseurs, mais quand il pouvait éviter, il le faisait ! D’ailleurs, la seule fois où il avait essayé d’appeler Ezéchiel, il avait vite renoncé en tombant sur un menu d’accueil qui lui avait fait perdre tous ses moyens et raccroché précipitamment. Son petit ami l’avait rappelé peu après mais il n’avait pas osé lui demander pourquoi il avait un tel dispositif pour son téléphone. Quand la société n’eut plus besoin de lui, il alla récupérer le nécessaire pour tout nettoyer au moment où Milka sortait de la cuisine. Apparemment, la pause lui avait fait du bien, puisqu’elle était pleine d’enthousiasme. Quoique… Elle était tout le temps comme ça donc c’était difficile de savoir si c’était dû à la pause ou non. En tout cas, ça faisait plaisir de voir autant d’entrain pour quelque chose d’aussi peu passionnant que du ménage. Par contre, son idée était loin d’être bête, au contraire même, et il hocha la tête pour montrer son approbation.

- Bonne idée ! C’est vrai, autant en profiter ! J’essaie de bouger les vitrines réfrigérées régulièrement pour nettoyer en dessous mais ça fera pas de le faire ! Et comme on va devoir trier les chocolats du présentoir de gauche pour en retirer tous les morceaux de verres, j’en profiterais pour les nettoyer, expliqua-t-il en désignant les endroits concernés du doigt.

Bon, ça aussi, il le faisait régulièrement, mais à deux, ça irait quand même plus vite. Motivé par l’enthousiasme contagieux de la jeune femme, il commença à balayer quand cette dernière reprit la parole, parlant de musique. Ah, oui, c’était une idée, puis ça le changerait. Par contre, il fronça légèrement les sourcils quand elle lui parla de “jam” c’était quoi ça, un terme de jeune ? Enfin, vu le contexte, il comprenait ce qu’elle voulait dire, au moins.

- J’écoute de tout, généralement je mets la radio en fond, répondit-il un peu penaud, en continuant de balayer. Tu n’as qu’à mettre ce qui te fera plaisir !

Voilà, c’était bien ça, puis ça lui ferait découvrir de nouvelles musiques de cette façon. Il n’était pas comme la plupart des gens qui mettaient de la musique en fond sonore, le silence ne le dérangeait pas vraiment, ça lui permettait de se retrouver seul avec ses pensées mais, pour une fois, ça ne le tuerait pas. Il laissa donc la musicienne se changer en DJ en continuant sa tâche mais releva la tête vers elle, pensif, quand elle l’interrogea sur ce qui l’avait motivé à ouvrir sa pâtisserie. Ce n’était pas banal comme question, et la réponse était à la fois complexe et très simple. Elle lui tira d’ailleurs un sourire un peu triste, typique des gens qui avaient perdu un être cher et qui y repensait.

- Oh, j’ai toujours aimé faire des gâteaux et j’ai très rapidement su que je voulais en faire mon métier, mais ça ne s’est pas toujours bien passé dans les différents endroits où j’ai travaillé. Ma grand-mère ne cessait de me répéter que je devrais me lancer, ouvrir ma propre boutique, mais je manquais de confiance en moi, je n’osais pas, je ne pensais pas que mes gâteaux se vendraient vraiment… A sa mort, elle m’a léguée une somme d’argent suffisante pour me lancer et m’a laissé une lettre me demandant de vivre mes rêves au lieu de me cacher alors… Je me suis lancé, c’est aussi bête que ça.

Et il passait chaque jour à remercier intérieurement sa grand-mère qui, même une fois partie, avait veillé sur lui et s’était assurée qu’il serait heureux. Parce que, professionnellement parlant, il n’avait jamais aussi épanoui que depuis l’ouverture de La cerise sur le gâteau. Certes, il lui arrivait encore de douter, de ne pas croire en sa réussite, mais il ne baissait pas les bras pour autant !

- Et toi, demanda-t-il en retour avec curiosité, qu’est-ce qui t’a poussé à te lancer dans la musique ?

Après tout, c’était l’occasion d’en apprendre un peu plus sur elle. Finalement, tout n’était pas noir dans cette journée, il suffisait de se concentrer sur le positif.

Chouette, des gâteaux. Bon d'une certaine façon c'est un peu cher payé, mais ça fait toujours plaisir. Puis je suis sûre que Dee va kiffer aussi, même si elle va bien se garder de le dire. Comme je suis très très gentille et un amour de colocataire (sisi), je profite de ma pause pour lui demander si elle a des envies en particulier. Tant qu'à faire, autant profiter de pouvoir choisir... d'habitude c'est plutôt les invendus, c'est toujours bon hein ! Mais forcément on choisit pas. Alors pour une fois, on va se la jouer grand luxe et choisir !

Enfin c'est pas tout, mais la pause ça peut pas durer éternellement, et y a du ménage à faire ! Puis si je reste immobile trop longtemps je me retrouve à penser à trop de trucs auxquels j'ai pas envie de penser en vrai. Alors haut les coeurs ! Et je me dis d'ailleurs qu'on ferait mieu d'en profiter pour tout refaire au propre.

"Ça semble une bonne idée. Et puis à deux ça sera plus facile de tout bouger."

Encore que j'imagine qu'il doit bien faire ça avec son employé habituel non ? Enfin je sais pas comment il s'organise le reste du temps. Ça change tellement d'un endroit à l'autre, je me pose même plus la question. Je retiens juste ce qu'il me faut pour le temps où je suis là et le reste du temps me concerne pas vraiment. On s'habitue à ne faire que passer !

"T'es sûr ? Comme tu veux !"

Je réfléchis vite fait... on va éviter de lui imposer du metal extrême, en général, quand les gens te disent qu'ils "écoutent de tout", ils se rendent généralement pas trop compte du nombre de possibilités qui existent dans le monde. Alors on va pas partir sur du relativement neutre : ça bouge assez pour motiver, mais c'est pas un truc de bourrin non plus. Normalement, pas de quoi effrayer notre cher patron !

Puis je sais pas, c'est peut-être aussi un peu l'occasion de papoter plus que d'habitude non ? Il est sympa comme patron quand même Benoît. Alors ça ferait plaisir d'échanger un peu plus que d'habitude. Puis vu que y a pas de client, on va quand même pas rester dans le silence toute la journée ! Ça serait chelou à balle ça quand même !

"Têtue ta grand-mère dis donc ! C'est généreux de sa part en tout cas. 'Fin jveux dire, c'est une belle marque de confiance quand même, ça a dû te filer un sacré coup de boost ! Pourquoi ça se passait mal dans tes jobs d'avant ?"

J'ai du mal à imaginer comment ça pouvait mal se passer en fait. Benoît est plutôt bonne pâte, facile à vivre, sympa et pour ce que je peux en juger bosse bien... C'est difficile d'imaginer que ça puisse mal se passer ! Enfin après on connaît jamais vraiment les gens.

Évidemment la question me revient, et c'est bizarre, parce qu'en y repensant ça paraît loin. Pas tant en termes d'années qu'en terme de... ça fait trois vies d'une certaine façon : de la France à l'Angleterre, d'une fratrie de six à cinq, de parents à une mère "célibataire". C'est assez étrange ! Des moments comme ça où je me sentirais presque vieille avant l'heure ! Mais en vrai, ça me fait sourire d'y repenser. Dans le fond, c'était pas si mal cette vie d'il y a trois vies !

"En fait mes parents m'ont collé un violon dans les mains parce que j'étais insupportable. On a quitté la France pour Londres quand j'avais 10 ans et j'ai détesté mes parents pour ça parce que ça voulait dire encore perdre tous mes copains, et encore apprendre une nouvelle langue. Il est possible que je leur en ai fait voir de toutes les couleurs, et la légende raconte que je me suis calmée qu'à partir du moment où j'ai été inscrite au conservatoire. Honnête je sais plus trop pourquoi la musique à l'époque, mais je sais qu'aujourd'hui quand je joue avec mon meilleur ami, ou que je suis sur scène, j'ai l'impression que tout est à sa place dans le monde. C'est juste incroyable tu vois, d'avoir l'impression que tu peux remettre toutes les choses du monde à leur place, que t'as ce pouvoir-là au bout des doigts."

Complètement dingue ouai ! Et de pouvoir faire ça avec des potes, c'est encore mieux. Et le public qui répond aussi, complètement incroyable !

Et une crème pâtissière bien frappée !

Même s’il n’avait pas l’habitude de travailler en musique, c’était agréable de changer sa manière de faire de temps en temps, et puis, si ça pouvait faire plaisir à Milka, c’était encore mieux. Déjà que la pauvre se retrouvait à devoir l’aider à nettoyer toute la boutique… Certes, ça faisait partie de son travail, mais la vitrine cassée n’était pas prévue au programme et ils se retrouvaient à gérer les pots cassés - ou le verre en l’occurrence. Alors s’il pouvait rendre ça moins pénible, il ne comptait pas s’en priver. En plus, c’était l’occasion de découvrir quelque chose de nouveau. Peut-être était-il influencé par ses préjugés à cause du look de la jeune femme, mais il avait comme l’intuition qu’ils n’avaient pas les mêmes goûts musicaux, non pas qu’il en ait spécialement d’ailleurs. Il s’avéra qu’il avait raison, les premières notes du morceau choisi par son employé commençaient à emplir la boutique mais il reconnaissait un style qu’il n’avait pas l’habitude d’entendre. Sûrement du rock, ou du métal, il n’était pas bien sûr, mais c’était une chanson entraînante, et, au final, plutôt agréable. En fait, ça cassait même avec l’image formaté qu’il avait de ce genre, avec des gens qui crient derrière leur micro sans réel recherche musicale. Enfin ça, c’était ce que l’imaginaire commun faisait du métal et autre hard rock, lui se doutait bien que ce n’était pas tout à fait exact, mais il n’avait jamais cherché à se renseigner pour autant.

Au bout d’un petit moment, la conversation vint s’ajouter à la musique dans la salle vide de la pâtisserie. Question légitime, Milka lui demanda ce qui l’avait poussé à ouvrir son propre commerce et il ne chercha pas à lui cacher la vérité, de toute façon, il avait toujours été un menteur terrible. Un léger rire, teinté de nostalgie, lui échappa quand elle qualifia sa grand-mère de têtue, ça oui, elle l’était, mais elle était aussi bien d’autres choses ! Même si elle était morte depuis plusieurs années maintenant, elle lui manquait toujours, à certains moments plus que d’autres. Par contre, il retint une grimace quand elle lui demanda pourquoi ses anciens boulots se passaient mal, ça, c’était un sujet qu’il préférait ne pas évoquer.

- Oui, c’était une sacrée femme, convint-il avec un sourire avant d’enchaîner. Pour diverses raisons… Sinon, j’aime bien la musique, je connaissais pas du tout.

Changement de sujet peu subtil, il était vrai, mais il n’était pas non plus doué pour ce genre de choses. De toute évidence, Milka devait savoir que certains travail se passaient mal vu qu’elle était intérimaire, elle devait en avoir vu de toutes les couleurs la pauvre. Plutôt que de rester dans le flou, Benoît décida de lui retourner la question, lui demandant pourquoi elle s’était mise à la musique. Il espérait en apprendre un peu plus sur elle, mais il ne s’attendait pas à autant d’informations. Il s’arrêta, surpris, en apprenant qu’elle aussi avait vécu en France. Pourtant, il ne l’aurait pas cru, elle parlait parfaitement anglais et il ne décelait aucun accent dans sa voix. Contrairement à lui qui, même après plusieurs années à Paris, avait toujours un accent anglais quand il parlait français. Un petit rire amusé lui échappa quand elle poursuivit son histoire. Bizarrement, il n’avait aucun mal à imaginer une Milka enfant - étrangement avec des cheveux bleus - qui en faisait voir de toutes les couleurs à ses parents. Il était content pour elle qu’elle ait trouvé sa vocation avec le violon, tout le monde n’avait pas cette chance. Lui l’avait eu donc il comprenait parfaitement ce qu’elle voulait dire. Si sa place était sur scène, à faire de la musique, la sienne était derrière ses fourneaux, à préparer des douceurs.

- Je vois exactement ce que tu veux dire, répondit-il avec un sourire avenant. C’est un chouette parcours en tout cas, et j’espère qu’un jour tu pourras vivre de ta musique.

Il était sincère, parce que vivre de sa passion, c’était la plus belle chose possible à ses yeux. Bon, peut-être après l’amour mais ça restait quand même en haut de la liste. En tout cas, c’était forcément mieux que d’enchaîner les missions d’intérims.

- Et donc tu as vécu en France ? Où ça ? demanda-t-il, curieux. C’est marrant, moi aussi j’ai vécu quelques années là-bas.

Et même si ça s’était terminé de manière un peu chaotique, il gardait d’excellents souvenirs de sa vie dans la capitale française.

Finalement c'était presque sympa comme moment. Bon c'est sûr que le ménage c'est pas le truc le plus passionnant qui soit non plus, mais dans les bonnes conditions, et occasionnellement, c'est pas non plus le pire boulot qui soit. Puis bon, après avoir aidé Scar à redonner un visage présentable à sa pizzeria, la pâtisserie de Benoît, même avec une vitrine explosée en tout petits bouts, c'est franchement pas si pire !

Puis un atelier ménage, c'est toujours le bon moment pour taper la discute avec les gens. Sisisi. Y a que les plus réfractaires pour refuser de papoter en faisant le ménage. Ceci dit, même si Benoît s'annonce pas réfractaire à proprement parlé, je sais reconnaître un changement de sujet éhonté quand j'en entends un. À croire que dès que je fais le ménage avec le proprio d'un restau faut qu'il tente désespérément de changer de sujet de manière tellement subtile qu'on dirait moi quand j'ai décidé que sisi, on parlerait de ça. Mais autant avec Scar, je peux facilement forcer (d'autant plus que ça m'amuse de le faire chier), autant là, ça reste mon patron (même s'il aime pas trop qu'on lui rappelle). Donc bon. Dans le doute, on va faire comme si de rien n'était.

"Ha bah contente de te faire découvrir ça alors ! Ça date un peu mais ça a bien vieilli. J'ai essayé de te choisir un truc pas trop bourrin non plus. En plus avec une vitrine fragilisée, ça serait dommage de faire péter les autres à cause des vibrations. J'ai déjà assisté à ce genre de truc ça fout un sacré bordel !"

Fallait y aller quand même, et ça marchait pas si t'avais du double vitrage en parfait état non plus, mais ça restait impressionnant ! Et surprenant. C'est un peu le genre de trucs que tu crois que c'est juste une légende, mais non. Un peu comme la note marron... Ce genre de choses quoi.

Je m'attendais pas à parler de la France par contre. C'est vrai que c'est pas forcément le sujet qui revient le plus rapidement sur la table. Ça arrive d'en reparler avec les frangins frangines, mais pour des raisons propres à chacun, on est pas non plus constamment à remuer le passé... quant aux autres personnes avec qui je pourrai en parler parce que Français aussi... bah disons qu'on fait pas dans le small talk quoi. Du coup j'avoue que c'est pas désagréable d'en parler sans avoir le poids de tout ce que ça peut aussi impliquer de pertes...

"J'espère aussi ! Mais bon, dans le metal c'est quand même rare... faut vraiment monter très haut pour en vivre pleinement. Maaaaaaaaais, même sans en arriver là on se dit que y a quand même moyen que ça devienne plus confortable ! Et au pire du pire j'imagine qu'on pourra toujours faire des jingles pour le SHinc si faut vraiment remplir nos comptes en banque."

Plus sarcastique tu meurs ! Honnêtement j'aime encore faire le ménage dans des rads pourris. Quitte à donner dans le job alimentaire, j'aime autant que la musique devienne pas un truc purement alimentaire.

"En vrai peut-être qu'à un moment je me déciderais à chercher une place dans un orchestre sympho, mais pour le moment ça m'intéresse pas."

Et ça m'emmerde. Quand je vois le genre de projets qu'on cherche à monter pour septembre... J'espère franchement que ça marchera...

"Ha ouai ? T'étais où toi du coup ? Nous on était du côté de Toulouse. Mais ouai c'est vrai que c'est marrant ! Et hautement improbable, d'une certaine façon. Tu sais que je suis norvégienne moi en fait ? L’Angleterre c'est mon troisième pays en vrai. Alors tu vois c'est rigolo qu'au bout du compte on se retrouve à travailler ensemble ! Ceci dit pour un pâtissier aller bosser en France ça doit être un peu le passage obligé non ? T'y es resté longtemps ?"

Oui bon par contre s'il veut continuer à éviter des sujets, il ferait mieux de les nommer parce que moi quand je suis lancée on m'arrête plus !

Et une crème pâtissière bien frappée !

Un petit rire, à la fois un peu amusé et nerveux, fut la seule réponse pour Milka quand elle affirma que certains de ses morceaux pourraient faire voler le reste du vitrage en éclat. Honnêtement, Benoît n’était pas sûr que ce soit possible mais, dans le fond, il n’y connaissait rien en physique des matériaux donc peut-être bien que si. Déjà que juste qu’à il y a quelques heures, il pensait que ses vitrines résistaient aux chocs, apparemment il s’était bien trompé. Dans le doute, il préférait donc éviter de prendre des risques et ne pas remettre la théorie de son employée totalement en question. Il avait eu son quota de mauvaises surprises pour la journée, peut-être même pour la semaine alors il n’allait pas en redemander non plus ! Il préférait se concentrer sur les bonnes surprises et, justement, l’une d’entre elles venait de se manifester. Il s’attendait à se trouver des points communs avec la musicienne, parce qu’en creusant bien, on finissait toujours par trouver, mais il ne s’attendait pas à ce que ce soit la France. Il était bien décidé à remettre le sujet sur le tapis mais, dans l’immédiat, il préférait se concentrer sur ce qu’elle lui disait.

- Oui, j’imagine que quand on fait des métiers artistiques, c’est plus difficile d’en vivre, concéda-t-il avec une légère moue. Ce qui est dommage d’ailleurs si tu veux mon avis, mais j’espère que vous y arriverez !

Il préféra ne pas rebondir sur cette histoire de jingles pour le SHinc parce qu’il n’était pas sûr de quoi en penser. Il lui semblait que Milka était sarcastique sur le sujet, mais il y avait plein de raisons possibles pour avoir une réaction pareille et même si la plupart des gens le pensaient niais, Benoît avait parfaitement conscience que le SHinc était un sujet épineux qui divisait bon nombre de personnes. Aussi évitait-il de s’y pencher trop avec des gens qu’il connaissait peu, comme Milka en l’occurrence. Il l’appréciait, il trouvait que c’était une bonne employée, mais il sentait que parler politique - ou plutôt SHinc - avec elle serait une mauvaise idée. Il laissa donc couler pour se concentrer sur autre chose.

- Tu dois avoir un sacré niveau au violon !C’est compliqué de rentrer dans un orchestre symphonique, non ? Tu as déjà eu l’occasion de jouer avec un orchestre ou un ensemble musical ?

Il n’y connaissait pas grand-chose en culture musicale, tout juste ce qu’il avait appris au collège et ce que ses parents avaient essayé de lui inculquer donc peut-être qu’il se trompait mais il lui semblait qu’un orchestre, c’était quelque chose de prestigieux. De son point de vue, ça semblait logique qu’en faire partie soit compliqué.

- Moi j’étais à Paris, j’ai un peu voyagé autour de la capitale mais je suis jamais descendu dans le sud, il paraît que c’est magnifique ! C’est comment Toulouse ? demanda-t-il avec curiosité, avant de répondre avec un petit rire. Je pense pas que ce soit un passage obligatoire tu sais. J’y suis resté quelques années puis je suis rentré, parce que mes proches me manquaient trop.

Et aussi parce qu’il avait découvert qu’il était fiancé avec un homme égoïste qui ne le comprenait pas et, pire, ne cherchait pas à le faire. Peut-être qu’il aurait pu se rendre compte plus tôt de la toxicité de Florian mais au moins, il avait fini par ouvrir les yeux sur tout ça. Mieux valait tard que jamais. Il se tut, le temps d’assimiler les autres informations données par Milka. Il ne savait pas qu’elle était née en Norvège. Elle avait beaucoup voyagé en fait ! Il se demandait si elle avait trouvé ça formateur ou non.

- La Norvège hein ? Tu crois que ça explique ton amour du métal ? demanda-t-il sur le ton de la plaisanterie. Tu as des souvenirs de là-bas ? Ou tu es arrivée trop jeune en France pour ça ? Milka, c’est un prénom norvégien ?

La première fois qu’il l’avait rencontré, son prénom l’avait amusé vu que c’était une célèbre marque de chocolat mais il n’avait pas osé lui demander l’origine de ce prénom peu commun, peut-être qu’il allait avoir la réponse aujourd’hui ?

Est-ce que c'était dur de rentrer dans un orchestre symphonique... Je réfléchis un eu. En fait c'est tellement un milieu à part... ou plutôt... Tout le monde voit ce qu'est un orchestre sympho, tout le monde projette des trucs dessus, et de façon plus ou moins erronée. Et en même temps, on visualise moins bien le parcours que ça fait pour un groupe de rock. Faut dire qu'on est quelque part entre l'institution traditionnelle et une structure souple. Chelou quand on y pense ! Du coup faut que je retrouve jusqu'où remonter pour lui donner un ordre d'idée.

"Et bien, ça dépend de ce que tu veux faire. C'est sûr que si tu veux rentrer dans l'orchestre national, celui qui joue pour la reine, l'ouverture des JO ce genre de chose, faut que tu sois le meilleur des meilleurs. C'est presque sectaire en vrai tu sais, il faut être recommandé par un autre membre. Sans ça, même en passant les auditions, c'est très rare d'être choisi. C'est vraiment THE Institution. Après tu vas avoir les orchestres symphoniques qui jouent dans les opéras ou qui font des concerts classiques. Et là tu as de tout. Du très bon niveau à l'orchestre passable. Tout dépend..."

Souvent les gens ont du mal à imaginer qu'un orchestre symphonique puisse être mauvais... faut dire que ça se donne tellement des airs de perfection ! Si ton oreille est pas habituée, à moins que le groupe joue faux tout du long, c'est pas toujours évident.

"Je jouais dans celui du conservatoire oui. Et celui de la fac pendant ma licence aussi, histoire de garder la main ! C'est une pratique intéressante en vrai. Mais franchement, flemme de jouer du classique ! Trop de rituels pénibles... Par contre, jouer dans des orchestres qui font les musiques de film, jcrois que ça me ferait bien kiffer en vrai !"

Ça j'avoue c'est un travail de la musique qui m'intéresserait beaucoup ! Faire coïncider l'image avec le son, participer à transmettre les émotions du film... ça doit être grave cool ! Plutôt que de mettre sa petite robe noir, et se coiffer classique, et gnagna... Pourtant ça a été une super expérience hein jouer des classiques. Je dis pas. C'est juste toute la lourdeur de la tradition autour qui me turbo gonfle !

"Tu te rends compte qu'on est resté quatre ans en France et qu'on est jamais monté à Paris ?? C'est comment alors ?"

En même temps, entre les absence régulière de papa, et le fait qu'on était quatre, puis cinq, puis six mômes à la maison... et maman qui recréait des groupes de parents solidaires pour s'entraider... On a pas nécessairement eu le temps de faire du tourisme...

"J'en ai des très bons souvenirs en tout cas. C'était une ville mais c'était pas non plus immensissime je crois. En tout cas y avait une vie de quartier hyper riche... bon maman en a sans doute créé la moitié à elle toute seule ! J'ai pas eu le soucis que t'avais puisque mes proches étaient tous avec moi... Et il a fallu qu'on apprenne la langue tout ça, du coup au début on restait plutôt entre nous. J'imagine que c'était pas les mêmes difficultés pour toi... mais c'est cool quand même que t'aies pu avoir cette expérience ! Tu regrettes pas ?"

Parce qu'au final s'il a dû rentrer parce que les gens lui manquaient, ptet que ça avait juste été une longue expérience douloureuse pour lui... si c'est le cas ça craint !
Je rigole à la plaisanterie, pas la première fois qu'on me l'a fait, mais en soi, elle m'amuse.

"Ça se trouve ! Je dois avoir ça dans le sang ! Mais oui j'ai plein de souvenirs, on est arrivé en France j'avais déjà 6 ans, donc j'ai bien vu la différence ! Et puis on essaie d'y aller encore régulièrement pour voir les parents de ma mère. Même si c'est plus souvent eux qui viennent, c'est plus simple."

Après depuis la disparition de papa, c'est vrai que les rapports de ma mère avec ses parents se sont un peu compliqués... ils lui font un genre de "on te l'avait bien dit" mais avec plus de vingt ans de retard. Ce qui a tendance à l'énerver en vrai !

"Ha non ! C'est un prénom yougoslave ! Je suis née quelques temps après la mort de la grand-mère de mon père, du coup il m'a donné son prénom. Pas grand chose à voir avec le chocolat... même si apparemment elle adorait ça !"

Je me marre un peu sous cape parce qu'en vrai, j'ai bien conscience que l'histoire familiale est un brin bordélique ! Enfin pas bordélique en soi, y a une certaine logique. Mais disons que l'histoire familial fait qu'on a pas trop suivi le schéma classique.

"Et toi y a une histoire derrière ton prénom ?"

Et une crème pâtissière bien frappée !

Discuter avec Milka était intéressant, comme ils avaient des horizons très différents, ça lui permettait de découvrir de nouvelles choses, comme la musique qu’elle mettait en fond sonore ou le fonctionnement d’un orchestre. Même si, maintenant qu’il le savait, ça lui semblait logique, il ne se doutait pas que l’orchestre national avait un tel niveau d’exigence. Il savait que c’était de bons musiciens qui en faisaient partie mais pas à ce point. D’un autre côté, c’était logique que n’importe qui ne puisse pas jouer devant la reine. Par contre, il était surpris d’apprendre qu’il existait des orchestres passables pour reprendre les termes de la jeune femme. Probablement parce que dans l’imaginaire collectif, tous les joueurs de musique classique étaient doués.

- Ah bon ? Quel genre de rituel ? demanda-t-il surpris avant de rebondir sur la suite. C’est vrai que ça doit être chouette de s’occuper des musiques de film mais il doit y avoir de la pression, non ?

Il n’avait jamais vraiment réfléchi à tout ce que ça impliquait d’avoir de la musique dans un film. Jusque-là, il les appréciait juste pour leur globalité mais maintenant qu’il y pensait, il y avait un immense travail derrière chaque petit détail, même la musique. Et ça valait le coup vu que certaines mélodies restaient toujours associées au film dont elles venaient, comme la musique d'Indiana Jones, de Star Wars ou encore Harry Potter. Il imaginait que ça devait être gratifiant pour les artistes qu’il y avait derrière. La conversation dévia ensuite vers un point commun inattendu entre eux : la France. Un petit rire amusé échappa à Benoît quand la musicienne lui expliqua qu’elle n’avait jamais visité Paris.

- Je pense que tu n’as pas raté grand-chose, admit-il en toute sincérité. C’est une très belle ville, riche de culture et de monuments à couper le souffle, mais il y a plein de mauvais côtés. Enfin, j’imagine que si on se contente de faire du tourisme, c’est agréable, mais y vivre… C’était compliqué par moment. Tout coûte cher, bien plus qu’à Londres je trouve, le métro n’est pas très bien entretenu et certaines lignes sont même une épreuve pour l’odorat. Les gens sont pressés, malpolis et snob… Je me suis déjà fait insulté, au début que j’y étais, parce que j’avais arrêté un passant pour lui demander mon chemin, raconta-t-il avec un léger pouffement désabusé. J’imagine que ça m’a appris à me débrouiller seul. Il paraît que les gens sont beaucoup plus accueillants dans le sud.

Malgré tout ça, il gardait de bons souvenirs de son passage dans la capitale Française mais oui, à certains moments, c’était compliqué. Il avait vite abandonné l’idée de prendre le métro pour se déplacer quotidiennement parce que le réseau souterrain parisien était pire qu’un labyrinthe et qu’on s’y perdait facilement. Le pire avait été son bref passage à la station de Châtelet-les-Halles, il avait mis plus d’une demi-heure pour trouver la sortie qu’il cherchait et d’après Florian, c’était normal ! Il avait même rajouté qu’il avait eu de la chance de ne pas s’être fait volé avec sa tête de touriste… Il avait vite troqué son pass navigo contre un abonnement vélib’ et à partir de là, il avait pris beaucoup plus de plaisir à se balader dans la capitale. Bien sûr, il avait utilisé de temps à autre le réseau de transport mais il essayait de privilégier les bus plutôt que le métro. Ce qui entachait vraiment ses souvenirs de sa vie à Paris, c’était les parisiens eux-même qui, pour beaucoup, s’étaient montrés désagréables et hautains avec lui, et même s’il avait l’habitude, ça restait difficile. A son tour, il écouta Milka évoquer ses souvenirs de France, avec un sourire. En effet, ils avaient eu des expériences bien différentes mais, au final, tous les deux en gardaient de bons souvenirs.

- C’est vrai que l’apprentissage de la langue, ça a été quelque chose. Pourtant, je partais pas de zéro, j’avais eu des cours de français à l’époque, mais c’était compliqué par moment. Enfin, je m’en suis sorti, c’est le principal ! Je pense que j’ai perdu un peu depuis que je suis rentré mais j’arrive toujours à tenir des conversations en français.

Ce qui lui arrivait, de temps à autre, quand un de ses rares amis français le contactait. C’était toujours une façon sympa de se rappeler tous les souvenirs qu’il s’était fait là-bas. Même si la plupart de ses connaissances s'étaient volatilisées en même temps que Florian.

- Non, je regrette pas, expliqua-t-il avec un sourire doux. Même si ça a pas toujours été facile, ça reste une expérience incroyable qui m’a appris beaucoup de choses, mais je suis content d’être rentré.

Ainsi, il a pu profiter des dernières années de sa grand-mère et rien que ça, c’est inestimable à ses yeux. Surtout que sa vie était à Londres, pas ailleurs, encore plus depuis qu’il avait ouvert sa pâtisserie. Il revint au moment présent en apprenant que sa jeune employée était née en Norvège et il l’interrogea à ce sujet avant d’écarquiller les yeux devant le flot d’informations qu’il venait d’obtenir. Bah ça alors, les Thomson n’était pas une famille commune ! Et il n’aurait jamais pensé que Milka puisse être un prénom yougoslave. En fait, avant de la rencontrer, il n’aurait pas parié que ça puisse être un prénom tout court mais c’était une autre histoire. Il resta silencieuse quelques secondes, à la regarder avec surprise avant de se reprendre.

- Donc… Si je résume bien, ta maman est norvégienne et ton père yougoslave, au moins en partie. Tu es né en Norvège et tu es arrivée en France à 6 ans avant de déménager en Angleterre à 10 ans et ton prénom te vient de ta grand-mère, c’est ça ?

Il aurait cru que le dire à voix haute l’aiderait à y voir plus clair mais, en fait, ça lui semblait encore plus improbable. C’était un sacré parcours…

- Mais…tu parles combien de langues au juste ? demanda-t-il confusément, les sourcils froncés.

Avec tout ça, il en avait complètement oublié la question qu’elle lui avait posée sur l’origine de son prénom. Donc forcément, il ne prit pas la peine de lui répondre, trop perdu qu’il était par les cheminements de la musicienne.

"Alors déjà, tu as un dresscode à respecter. Spoiler alert, je rentre pas trop dedans. Ensuite il y a un ordre pour s'installer, et surtout une hiérarchie entre les musiciens. En vrai sous le côté hyper classe, c'est la guerre... Du coup parfois dans certains orchestres, c'est difficile d'avoir une vraie cohésion de groupe..."

Sans compter le sexisme du milieu. Comme dans tous les milieux musicaux bien sûr... ou de l'art en général. Ou du monde entier finalement.

"Et puis bon, c'est un milieu vieillot, donc quand t'es une femme, potentiellement tu galères plus. C'est difficile de faire groupe avec des gens qui trouvent que tu joues moins bien parce que t'es une nana. Perso j'ai toujours trouvé qu'on jouait mieux du violon avec un archer qu'avec une bite, mais c'est ptet ça qui fait de moins une moins bonne musicienne tu me diras !"

Oups ! Faut ptet que je fasse un peu gaffe à ce que je dis tiens. Il doit pas être habitué à ce que je parle aussi librement. J'ai jamais trop maîtrisé les filtres... puis c'est pas de ma faute, c'est lui qui m'a demandé ! Et ce genre de trucs ça fait quand même partie des choses qui m'ont un brin dégoûté du symphonique. La flemme de me battre tout le temps.Au moins dans le metal, on est 5, on s'ait choisi, on se serre les coudes. Les remarques y en a du reste du monde, mais je sais que j'ai le soutien de mes potes. Ça change quand même la donne ! Enfin je vais revenir sur plus sobre comme conversation.

"Pour le stress je sais pas. Je dirais que toutes les fois où tu joues finalement c'est un stress, c'est juste pas le même je crois ? Pour un film il faut que tu colles à ce qui se passe, en concert y a les attentes du public... Mais c'est du bon stress, c'est du stress qui te pousse à te défoncer ! J'imagine que c'est un peu la même pour toi non ? Quand t'as ouvert ta boutique ou que t'essaies des nouveaux trucs non ?"

j'ai plus de mal à visualiser, mais il doit bien y avoir une certaine forme de stress comparable non ? En plus Benoît, même si jle connais pas tant que ça, jle connais assez pour savoir que c'est quelqu'un d'extrêmement investi dans ce qu'il fait... suffit de voir comment il a réagi à l'incident de ce matin ! Donc sans doute qu'il a ça aussi... Suis plutôt curieuse de voir comment ça se traduit pour lui.

En attendant, il me fait un portrait peu flatteur de Paris... Mais ça me fait presque rire.

"Et bah c'est marrant, mais les gens du sud disaient à peu près la même chose. Attends que je me souvienne... Les Parisiens pètent plus haut que leur cul. Voilà je crois que c'était ça ce qu'ils disaient ! En plus de comme tu dis, le fait que ça pue... remarque c'est bien comme ça j'ai zéro regret, j'irai en touriste, ça sera très bien ! T'auras des choses à me conseiller ? Enfin c'est triste quand même ! T'as dû galérer..."

Tu m'étonnes qu'au final il était content de se barrer ! Envie de dire que tant pis pour les Frenchies hein... Their loss... Mais ouai, forcément mis bout à bout, logique qu'il ait préféré rentrer.

"Oui c'est vrai que si tu entretiens pas... je le parle encore bien parce que finalement pour mes deux plus jeunes soeurs c'est presque plus naturel pour elle de parler français que norvégien vu qu'elles sont nées là-bas."

Ça créait des choses bizarre dans la famille d'ailleurs... On sentait bien qu'elles le vivaient pas toujours bien, qu'elles comprenaient pas d'où sortait cette langue et pourquoi elles devraient la parler... C'était pas toujours évident. Et ça facilitait pas leur statut de petites dernières !

En attendant, je suis plutôt contente d'apprendre que ça reste une bonne expérience pour lui. Ouf alors. C'est quand même mieux. Je souris.

"Tant mieux alors."

Bon par contre, je crois que j'ai cassé Benoît en lui plantant le décor familial. Je m'immobilise pour le regarder réfléchir, et j'arrive pas à retenir le sourire amusé qui me monte aux lèvres. Oui c'est mon petit plaisir coupable ça, l'arbre généalogique absurde de ma famille... Pas nécessairement de la fierté, juste ça m'amuse. Même si maintenant je sais ce qu'il y a derrière... je trouve toujours ça un peu drôle. À ce niveau d'absurdité, je vois pas comment faire d'autres que d'en rire ! Et franchement, Benoît s'en sort très bien !

"C'est exactement ça oui ! Mon père est arrivé en Norvège à 10 ans et il a obtenu la double nationalité à sa majorité."

Entrer dans les services spéciaux de l'armée j'imagine que ça a aidé aussi pour ça... mais ça mon cher patron n'a pas besoin le savoir.

"oh ! J'en parle 3. Norvégien, français et anglais. Mais c'est rien... Mon père en parle sept au moins..."

Enfin au moment où il a disparu il en parlait sept... En même temps c'était son boulot, au moins en partie. Pour ça qu'il partait longtemps, parce qu'il fallait qu'il apprenne et qu'il se mêle aux gens avant de pouvoir faire sa mission en elle-même. En vrai il était un peu flippant à sa façon !

"En vrai j'aurais bien voulu en apprendre d'autres, genre le serbe, vu que c'était la langue de mon père quand il était môme. Mais c'est galère de trouver le temps d'apprendre, trop de choses à faire !"

Et papa a jamais voulu m'apprendre... Je comprends ses raisons aussi hein. Mais en vrai j'ai pas dit mon dernier mot ! Surtout si je peux pas le dire en serbe !

"T'as toujours des potes en France ? Avec qui tu peux pratiquer un peu la langue ?"

Et une crème pâtissière bien frappée !

Il comprenait mieux pourquoi Milka n’était pas emballée à l’idée de jouer dans un orchestre maintenant qu’il l’entendait parler de toutes les contraintes que ça impliquait. Rien qu’avoir des cheveux bleus ça devait être rédhibitoire dans ce milieu. Ce qu’il trouvait franchement dingue parce qu’en dehors de quelques exceptions - comme la police ou l’armée - le travail ne devrait pas avoir d’impact sur notre physique ou sur nos choix de vie. Les gens étaient libres de faire ce qu’ils voulaient de leur corps, non ? Ajoutez à tout ça le sexisme… Oui, il comprenait pourquoi elle préférait se concentrer sur son groupe de métal. Quant à… Quoi ?! Benoît écarquilla les yeux de surprise quand la jeune femme parla de jouer du violon avec…son sexe… Il était à peu près certain que c’était juste une image mais quand même, il ne s’attendait pas à ça. Il ne savait même pas comment réagir ! Est-ce qu’elle disait toujours ce qui lui passait par la tête, comme ça, sans filtre ? Il avait l’impression que oui… Après avoir passé un certain temps à la regarder, les yeux ronds, le pâtissier préféra changer de sujet et ne pas rebondir sur tout ça. De toute façon, il était trop perturbé par cette histoire de sexe pour se souvenir des autres arguments.

- Je crois que je vois ce que tu veux dire, répondit-il après quelques secondes pensives.

Il n’était pas sûr de ressentir la même chose qu’elle ceci dit. Oui, quand il avait ouvert sa boutique ou quand il créait de nouvelles pâtisseries, il stressait, mais ça n’arrivait qu’après le processus de création donc ça ne le poussait pas vraiment à donner le meilleur de lui-même. Il craignait juste que le succès ne soit pas au rendez-vous et qu’il ait perdu du temps et de l’énergie pour pas grand-chose. Plutôt que de s’attarder sur le stress, il enchaîna avec le reste de la conversation et notamment un de leur point commun : la France. Il laissa échapper un rire amusé en l’entendant répéter, en français, ce que les gens du sud avaient coutume de dire à propos des parisiens.

- Tu vois, ça m’étonne pas que les parisiens aient ce genre de réputation ! Mais non, j’ai un peu galéré par moment mais globalement, ça a été. Je dirais que ça m’a appris à me débrouiller tout seul.

C’était une expérience qui l’avait forgé et qui avait grandement contribué à faire de lui l’homme qu’il était aujourd’hui. Même s’il y avait eu des moments difficiles, il ne parvenait pas à regretter ces années parisiennes. Son histoire avec Florian mise à part bien entendu.

- Oh oui, j’ai plein de choses à te recommander ! Bon, il y a les classiques : la tour Eiffel, Notre-Dame de Paris, l’arc de Triomphe mais généralement, c’est plein de touristes même si c’est très impressionnant. J’ai beaucoup aimé le musée d’Orsay et ses peintures impressionnistes. En plus, il est situé dans une ancienne gare donc le cadre vaut aussi le coup d'œil ! Niveau musée, il y a aussi le Louvre, un autre incontournable ! Quand on se retrouve devant la pyramide de verre, c’est à couper le souffle mais le pire, c’est quand on est dessous, ça donne le vertige tout ça ! Le Sacré-Cœur est magnifique aussi ! C’est une église toute blanche, très prisée par les amoureux je crois, mais le plus dingue, c’est qu’elle s’auto-nettoie ! Elle est blanche depuis des années et des années sans jamais avoir été repeinte parce que les pierres redeviennent blanches quand il pleut ! Je sais plus vraiment comment ça fonctionne mais je trouve ça magique ! Si tu es aventureuse, tu peux visiter les catacombes, il paraît que ça vaut le détour mais j’y ai pas mis les pieds. Par contre, j’ai visité le cimetière du Père Lachaise et je le recommande vivement ! Quand on le visite, on a pas du tout l’impression d’être à Paris tellement tout est calme ! On est loin de l’agitation de la capitale, c’est assez fou, en plus, il y a des tombes célèbres et certains caveaux sont très jolis.

Il s’arrêta dans son exposé quand il se fit la réflexion que ça faisait peut-être beaucoup d’informations tout ça. D’un autre côté, Paris était une ville riche en culture avec énormément de choses à voir et qui avait cette capacité de nous transporter d’une époque à une autre juste en changeant de rue !

- Enfin, il y a beaucoup de choses à voir quoi, conclut-il gêné. Mais c’est aussi agréable de juste flâner et de parcourir les parcs.

Son préféré étant le jardin des plantes, même si certains autres étaient tout aussi remarquables. Parler de tout ça fit naître une vague de nostalgie en lui et, pendant un instant, il se prit à rêver de retourner visiter Paris avec Ezéchiel. Il se demandait s’il serait partant pour ça. Probablement que oui mais il était peut-être encore un peu tôt pour lui proposer un voyage, non ? Bon, il verrait plus tard, pour l’instant, il avait plus important à faire ! Comme se dépêtrer avec l’histoire familiale de Milka qui semblait vachement complexe ! Apparemment, il avait plutôt bien compris vu que son résumé fut validé par la jeune femme.

- Sept langues ? répéta-t-il avec surprise. Bah dis donc ! C’est énorme ! Il est interprète ou quelque chose comme ça ? Je trouve que trois c’est déjà beaucoup mais alors sept… Wouah !

Il était d’autant plus surpris d’apprendre que Milka avait envie de découvrir d’autres langues encore. Bon, il pouvait comprendre l’envie de parler la langue natale de son père, quelque part, ça semblait logique, même si c’était compliqué de son point de vue. D’un autre côté, il n’était pas vraiment doué pour l’apprentissage, surtout des langues, mais peut-être que ce n’était pas le cas de Milka.

- Pourquoi tu ne demandes pas à ton père de t’apprendre ? Ca pourrait vous faire une chouette activité à faire à deux !

Peut-être que l’idée avait déjà traversé l’esprit de la violoniste en fait, et que sa question n’allait rien faire d’autre que de raviver des mauvais souvenirs. Quel idiot ! Il aurait mieux fait de se taire ! Du coup, il s’empressa de répondre à la question suivante.

- Oui ! Il me reste quelques amis à Paris, qui m’appellent de temps en temps ou qui m’écrivent. C’est pas grand-chose mais ça permet d’entretenir, c’est déjà ça. Sinon, j’ai énormément de livre de recettes français, que j’ai acheté là-bas, donc ça aide à pas tout perdre.

Même s’il connaissait certains d’entre eux par cœur et qu’il n’avait même plus besoin de les ouvrir pour avoir les recettes.

Marrant le nombre de sujets que Benoît envoie passer à la trappe. Bon en même temps techniquement c'est pas mon pote, c'est mon patron (même s'il aime pas que je l'appelle comme ça)(ce qui m'encourage bien sûr à le faire d'autant plus !), donc bon, naturellement, c'est pas forcément avec moi qu'il va partager ses états d'âme ! Mais c'est rigolo. L'impression de suivre une cartographie à trous. Parler de la France en revanche, ça a l'air bien plus facile pour lui. Je vais finir par lui envoyer Estelle tiens ! Elle sera contente d'avoir au moins une personne qu'aime autant ce pays qu'elle...

Je ne sais pas trop réagir à cette histoire d'apprendre à se débrouiller tout seul. C'est marrant parce que j'ai grandi dans une famille nombreuse avec une grosse solidarité, et en même temps bah on a appris à "se débrouiller seul" aussi. On a même eu des cours d'auto-défense ! C'est dire ! Du coup je ne sais pas très bien comment ça marche pour les autres. Bizarrement quand même jtrouve ! Enfin le reste du monde dirait sans doute la même chose de ma famille. Potentiellement à raison d'ailleurs.

En attendant Benoît est intarissable sur Paris et c'est plutôt rigolo de le voir comme ça ! Enthousiaste et hypra volubile. Au moins j'ai plus l'impression de monopoliser la conversation. Je souris en terminant de passer la serpillère derrière une étagère de présentation.

"J'aurais dû prendre des notes ! Tu sais que pour les catacombes on a notre bassiste qui voulait qu'on aille y faire un clip ? Gros gros débat dans le groupe sur à quel point ça faisait cliché ! Tu veux donner ton avis sur la question ?"

Le coup du cimetière aussi ceci dit. Et on est même pas un groupe de black ! Ce serait encore pire dans ce cas de figure...

"Promis, le jour où je me retrouve à aller à Paris, je te passe un coup de fil pour que tu nous asses un itinéraire ! Et t'auras une carte postale, bien sûr."

Le contraire serait inenvisageable ! M'enfin c'est pas vraiment dans les projets immédiats. Ni même à plus long terme. Enfin j'en sais rien dans le fond. Là que je me rends compte qu'étrangement, voyager c'est pas nécessairement quelque chose qui me manque. À moins qu'on parte en tournée avec le groupe. En même temps, j'en suis à un stade de ma vie où faire des projets, c'est pas vraiment possible. C'est pas bien grave dans le fond, on fait bien sans.

Alala, mon père cette énigme géante. Faut bien admettre que même moi, j'ai bien conscience que je sais pas tout. Déjà y a des trucs que j'ai dû enquêter moi-même pour retrouver. Des trucs limites pas trop légaux. Et des trucs carrément pas légaux. Et que j'ai aucune idée de ce qu'il fait maintenant ! Bref. Enfin au moins je peux toujours résumer au minimum.

"Quelque chose comme ça ouai. Il était dans les services de renseignement, donc il était muté vers une ambassade ou une autre en fonction des besoins. Du coup forcément être capable de se fondre dans la population ça faisait partie de son travail."

Voilà. Le coup des ambassades, c'est un peu mon joker habituel. Ça reste crédible (et possible en soi) sans avoir à trop se fritter sur le terrain idéologique de pour ou contre l'armée et l'espionnage et blabla. La flemme. J'ai rien contre les anti-armées. Juste que des fois ça me gonfle, parce que tu leur dis que ton père était dans l'armée, que grâce à ça il a pu faire des études et obtenir la nationalité, sans ça il aurait fait balayeur, mais ça te répond comme si c'était pas une vraie personne. Et ça me gonfle. D'autant plus que merci mais j'ai des vraies choses à reprocher à mon père en fait, pas des choses pour le principe parce qu'il a fait l'armée. Ceci dit je m'inquiète pas trop, ça reste Benoît, qui clairement fuit le conflit. Donc même si j'avais clairement dit qu'il était dans l'armée, je doute qu'il m'aurait dit quoi que ce soit (même s'il l'avait pensé).

"Parce qu'il est porté disparu. Enfin j'y penserais quand il se repointera. Bon après l'avoir engueulé ceci dit. Si ma mère l'a pas réduit en pièces avant !"

Ce qui n'est pas gagné ! Il risque d'entendre parler du pays quand il va repointer le bout de son nez. Ptet pour ça qu'il est toujours pas revenu d'ailleurs. Absolument pas parce qu'il est clamsé. Juste parce qu'il sait bien que sur ce coup, va falloir qu'il nous rende des comptes et que l'addition va être salée... Enfin je m'étends pas trop. Là aussi, la flemme. Y a des pilules difficiles à avaler et ça ça en est une. Pire que l'absence, le mec qu'a fuit. Lui pardonner, ça va clairement être chaud patate.

"Ha oui pas bête comme façon d'entretenir ! T'as pas peur de te retrouver à pouvoir parler que de gâteaux ? Genre tu travailles gâteau tu rêves gâteau tu parles gâteau ? T'arrives à pas t'en dégoûter ??"

Vraie question là encore. Ça m'est déjà arrivé de me poser la question avec la musique. Pour le moment ça peut pas être au centre de ma vie pour des raisons aussi triviales que "il faut bien manger et payer le loyer gnagna", mais si un jour c'est le cas... est-ce que je risque pas de me dégoûter de la meilleure chose dans ma vie ???? J'en suis là de mes réflexions alors que je range ma serpillère et ferme l'immense sac poubelle qu'on a pu remplir. Dernier regard sur la salle histoire de vérifier que j'ai rien oublié.

"Autre chose que tu veux qu'on nettoie tant qu'on y est ? Ou on a fait le tour ?"

Et une crème pâtissière bien frappée !

Un rire mi-amusé, mi-gêné, échappa au pâtissier quand son employée parla de prendre des notes. Oups, il s’était peut-être légèrement emballé mais tant pis. Après tout, Paris était une ville qui valait vraiment le détour. D’accord, il en était parti mais il gardait d’excellents souvenirs de la capitale française. Le fait qu’il n’ait jamais vraiment voyagé de sa vie devait aider ceci dit et probablement qu’il pourrait parler avec le même enthousiasme de tout autre ville qu’il aurait aimé visiter. Quand la question des catacombes fut abordée, il laissa échapper un éclat de rire franchement amusé.

- Je ne sais pas vraiment si ça fait cliché ou pas, j’imagine que ça dépend de votre groupe et de l’image que vous avez, par contre, je peux te dire avec certitudes que ça risque d’être compliqué. L’accès aux catacombes est restreint et les tournages sont compliqués je crois. Si je me trompe pas, il y a des demandes spéciales à fournir et il faut obtenir une autorisation particulière, mais ça peut valoir le coup. Sinon, vous pouvez toujours tourner un clip dans l’impasse Satan ou devant le Rocher de la sorcière, ça peut être approprié, non ?

Dans les faits, il n’y connaissait pas grand-chose en métal mais si le groupe voulait tourner dans les catacombes, ses propositions ne devraient pas être si aberrantes que ça. Il accueillit avec un sourire content la promesse de carte postale en cas de visite de la capitale par Milka puis la conversation continua naturellement et ils se retrouvèrent à parler du père de la musicienne. Cette dernière lui exposa le métier de son géniteur, pour expliquer son aisance avec les langues et Benoît se retrouva à ouvrir les yeux de surprise en l’entendant. Ce qu’elle décrivait ressemblait à un film d’espionnage, normal qu’il soit surpris ! Il ne pensait pas vraiment qu’il y avait des “James Bond” civils au service des ambassades. Dans le fond, il y avait probablement des milliers de métiers dont il ignorait l’existence.

- Ton père est comme un caméléon en fait ! résuma-t-il avec une pointe de respect dans la voix.

Il déchanta l’instant suivant en apprenant que le père de Milka était porté disparu. Merde… Il venait de mettre les pieds dans le plat, là, non ? Il espérait que cette conversation ne rappelerait pas de mauvais souvenirs à la jeune femme. Le pire, c’était qu’il ne savait pas comment réagir à cette nouvelle. Devait-il s’excuser ? Lui demander depuis combien de temps il avait disparu ? Non, c’était indiscret ! Lui souhaiter un retour proche dans ce cas ? Sauf qu’en fonction de la durée de sa disparition, ça pourrait s’avérer délicat. Enfin, la chanteuse semblait croire en un éventuel retour de son père et il ne voulait surtout pas la décourager et briser ses espoirs. Aussi opta-t-il pour la technique lâche : ne rien dire et se contentait d’un regard compatissant. Ce n’était pas comme s’ils se connaissaient bien et qu’il savait comment réconforter la demoiselle. Là, il risquait surtout d’aggraver les choses donc autant ne rien dire et passer à autre chose.

- Oui, j’y arrive plutôt bien, répondit-il avec amusement. Même si je mange des gâteaux presque tous les jours, c’est un domaine tellement vaste qu’il y a toujours de nouvelles choses à découvrir. Et comme je fais aussi des chocolats, ça varie les plaisirs !

De toute manière, il ne s’imaginait pas faire autre chose de sa vie donc ça réglait la question. Peut-être que si un jour il finissait effectivement dégoûté par les pâtisseries, il se concentrerait sur son activité de chocolatier ou inversement mais pour l’instant, la question ne se posait pas. Avec tout ça, ils étaient arrivés à bout du ménage sans qu’il ne s’en rende vraiment compte. C’était toujours plus agréable quand on était plusieurs pour ce genre de tâches !

- Tu peux sortir les poubelles ? demanda-t-il avant de jeter un regard circulaire à la pièce. Ensuite, tu pourras rentrer, je pense qu’on a fini. Profite du reste de ta journée, on se verra demain.

Lui, de son côté, il lui restait encore beaucoup à faire, rien qu’avec l’assurance à gérer, mais ce n’était pas vraiment des choses pour lesquelles Milka pouvait aider. Il comptait aussi appeler Boris, son contact de la croix rouge, pour organiser la livraison des pâtisseries qu’il lui restait. C’était une habitude qu’il avait prise, peu après l’ouverture de la cerise sur le gâteau, quand il lui restait beaucoup de gâteaux en fin de journée. Il préférait les donner à une oeuvre caritative qui les redistribuait plutôt que de tout jeter.