Prends ça comme un jeu - Milka

@Milka Thomson  

Si, pendant le mois de décembre, Gabriel pouvait vivre en reclus chez lui, tel un ermite, il le ferait sans hésiter. Son année se terminerait le 30 novembre pour ne reprendre que le premier janvier et ça lui irait très bien. Sauf que ça ne marchait pas comme ça et que, malgré toute sa bonne volonté, il avait des obligations qui le poussaient à sortir de chez lui. Son association par exemple, dans laquelle il était énormément investi, même si c’était compliqué de passer devant cet énorme sapin de deux mètres qu’il avait décoré avec Evelyn à chaque fois qu’il passait la porte d’entrée, il réussissait, la plupart du temps, à oublier que le temps des fêtes approchait. Probablement parce qu’il avait réussi à ce que la frénésie de décorations de Pamela n’atteigne pas son bureau, c’était salvateur. Même s’il appréciait beaucoup sa directrice adjointe, plus le mois avançait et plus il songeait à lui offrir, l’an prochain, un congé exceptionnel pour tout le mois de décembre pour ne plus avoir à subir cette frénésie déplacée une fois de plus. Quitte à lui payer un voyage en Laponie pour aller avec le congés et s'assurer qu’elle ne serait pas dans les parages pour essayer de lui communiquer ce que tout le monde appelait “l’esprit de noël”.

Une autre de ses obligations de sortie était les promenades de Pirate, pour s’assurer que son chien ne ferait pas ses besoins dans son salon et pour leur permettre de se dégourdir les pattes. C’était compliqué, au début de mois, parce qu’en habitant en plein centre de Londres, il était difficile d’échapper aux décorations omniprésentes mais maintenant, il avait défini un itinéraire qui minimiser le nombre de rencontre avec des guirlandes scintillantes et autres sapins envahissants donc ça allait. Restait donc la dernière des obligations de sortie, la plus pénible à ses yeux - ce qui n’était pas peu dire face à Pamela - celle de faire les courses. Malheureusement pour lui, il ne pouvait pas se contenter de pâtes et d’eau pendant tout un mois. S’il avait été tout seul, il aurait pu tenter le coup, mais il ne voulait pas imposer ça à Pirate. Sans compter qu’il avait également des besoins à combler qui nécessitaient de faire des achats, il arrivait, par exemple, à court de papier toilette. Il n’avait plus de café non plus et il devait reprendre de la pâtée pour son chien. Du coup, quitte à sortir, autant faire de vraies courses, même si l’idée d’y aller ne l’enchantait pas.

Il finit donc par se résoudre à quitter l’association un peu plus tôt pour aller affronter son enfer personnel : un centre commercial en plein mois de décembre. Gabriel avait quand même eu la présence d’esprit de venir avant la sortie des bureaux, pour éviter le rush de fin de journée mais en passant les doubles portes vitrées, il réalisa, avec effroi, que l’endroit était malgré tout bondé. Ce ne fut qu’en voyant le nombre d’enfants qui accompagnaient leurs parents qu’il comprit, beaucoup trop tard, qu’il avait mal choisi son jour puisqu’on était mercredi. Merde… Sauf que maintenant qu’il était là, il n’allait pas faire demi-tour, il savait que revenir plus tard, voir un autre jour, serait beaucoup plus compliqué puisque ça faisait déjà deux jours qu’il repoussait cette sortie. Prenant son courage à deux mains, il avança à travers la foule, en essayant de retenir son agacement face aux musiques de noël qui résonnait dans toute la galerie marchande à cause des hauts-parleurs placés un peu partout, aux gens qui s’arrêtaient en plein milieu du chemin pour discuter entre eux comme s’ils étaient seuls au monde et aux cris surexcité des gamins lorsqu’ils voyaient le Père Noël. Il essayait de se raccrocher à l’idée que ce n’était que temporaire, qu’il attrapait ce dont il avait besoin et qu’il pourrait retourner s’enfermer chez lui jusqu’à la fin de cette fête de malheur ! Sauf qu’il n’était pas au bout de ses peines.

Tandis qu’il se dirigeait vers l’entrée du supermarché, il remarqua que ce qui attirait à ce point la foule n’était autre qu’une estrade qui avait été montée pour l’occasion. Au moins, si les gens étaient tous agglutinés ici, il y aurait moins de monde dans les rayons et en caisse et ses courses iraient plus vite. Il essayait de se convaincre de ça tandis qu’il tentait de se frayer un passage à travers la foule, sans trop de succès. Agacé, il décida de carrément passer devant l’estrade, là où il y avait moins de monde, en se disant que ça irait plus vite. Sauf que, là encore, il se retrouva piégé puisque la foule se rapprochait pour mieux écouter l’animateur. Dans son micro, un lutin ridicule expliquait à la foule le début d’un jeu pour venir en aide à différentes associations en cette période de fête. Rien qu’avec ça, Gabriel avait déjà envie de lever les yeux au ciel. Il n’y avait pas qu’en décembre que les associations avaient besoin d’aide mais il préféra laisser tomber en continuant d’essayer de passer, sauf que le lutin n’avait pas terminé son speech et que les gens refusaient de se pousser. C’était bien sa veine tiens !

- Pour ça, je vais former des binômes d’inconnus, qui devront réaliser plusieurs épreuves pour remporter des prix pour l’association qu’ils auront tirés au sort ! expliquait le lutin avec un entrain surjoué. Pour le premier binôme, je vais donc appeler…

Sentant le vent tourner et n’ayant absolument pas envie de se retrouver mêlé de près ou de loin à un truc pareil, Gabriel en vint carrément à jouer des épaules pour essayer de se frayer un passage tandis que les premiers binômes allaient rejoindre le lutin avec joie. Voilà, c’était très bien ça, qu’il se contente d’appeler des gens heureux de se transformer en bouffon de noël, c’était parfait ! Ça le serait encore plus s’il pouvait sortir de cette foule au plus vite mais il fallait croire que ce n’était pas son jour.

- Et maintenant, le dernier binôme !! annonça l’homme bariolé avec emphase. Vous-là, le brun avec le pull bizarre plein de lettres, montez sur scène !

C’était une blague, non ? Il avait beau très bien savoir comment il était habillé aujourd’hui, Gabriel baissa tout de même les yeux sur son pull qui se voyait à travers sa veste ouverte. Merde… En relevant la tête, il remarqua que le lutin le désignait très clairement de son doigt ganté et quand il croisa son regard, il l’invita d’un signe à le rejoindre. Paniqué, Gabriel répondit d’un hochement de tête négatif, qui fut accueilli par le rire du bouffon.

- Ne soyez pas timide, je vais pas vous manger ! Vous ferez équipe avec…

Il fit une pause le temps de scruter la foule, son regard sembla accrocher quelque chose puisqu’il reprit moins de deux secondes plus tard.

- Avec la demoiselle aux cheveux bleus là-bas !

Sans qu’il ne comprenne vraiment ce qui se passait, Gabriel se retrouva poussé vers le lutin qui lui prit la main pour l’attirer sur scène. En moins d’une minute, il se retrouvait aux côtés des autres participants, avec un membre du staff de l'événement qui leur expliquait rapidement les règles en leur distribuant des brassards de couleur pour identifier clairement les équipes. Il fut invité à enlever son manteau et à laisser ses affaires sur le côté puisqu’apparemment, il n’avait pas le choix. Dans un état second, il s'exécuta donc tandis qu’il était rejoint par une demoiselle aux cheveux bleus à qui on répéta les consignes avant qu’on leur tente à tous les deux un brassard violet.

- Vous serez l’équipe violette, annonça une jeune femme à l’air un peu fatiguée. Vous avez quelques minutes pour faire connaissance pendant qu’on prépare la première épreuve. Vous devez juste tirer au sort l’association pour laquelle vous jouerez.

Au même moment, le lutin revint vers eux, armé d’une grande boîte aussi bariolée que son costume qu’il leur tendit avec un immense sourire en faisant s’agiter la clochette de son bonnet. En toute honnêteté, Gabriel le trouvait un peu flippant, mais il garda son commentaire pour lui. A la place, il se tourna vers sa compagne d’infortune.

- A toi l’honneur, lui proposa-t-il pas trop sûr de lui.

De son côté, il chercha des yeux un moyen de couper court à cette mascarade mais même en expliquant à la demoiselle du staff qu’il préférait laisser sa place à quelqu’un d’autre, il ne réussit pas à y échapper. Au contraire même, elle lui assura, avec un sourire, que tout se passerait bien et qu’il ne verrait pas le temps passer. Misère… Il le savait pourtant, que c’était l’enfer sur terre les centres commerciaux au mois de décembre !

@Milka Thomson  

Apparemment, c’était impossible de se sortir de ce traquenard, à croire que le consentement était le cadet des soucis des organisateurs de cette farce ! Peut-être que s’il se mettait vraiment à protester en déclarant haut et fort qu’il ne voulait pas participer à ce cirque, on le laisserait partir, mais Gabriel n’avait pas envie d’attirer l’attention sur lui. Il n’avait pas non plus envie de passer pour un connard qui n’en avait rien à faire des bonnes œuvres alors que c’était loin d’être le cas. Probablement qu’il devrait attacher moins d’importance à l’avis des autres, mais ce n’était pas maintenant que ça allait changer. Il n’avait donc pas le choix, le plus simple restait encore de participer à cette vaste blague en espérant que ça ne durerait pas trop longtemps. Au pire, il pourrait toujours saboter la première épreuve pour se faire éliminer si ça marchait comme ça. Il en doutait, surtout si le but était de récolter des fonds pour des associations, mais l’idée restait réconfortante malgré tout.

Au moins, il n’était pas tout seul dans cette galère puisqu’ils devaient fonctionner par binôme, et qu’il se retrouva avec une demoiselle adepte de couleurs voyantes à en juger par ses cheveux bleus. Enfin, il n’était pas là pour juger mais il devait reconnaître que ça lui allait plutôt bien. Par contre, il ne savait pas si l’enthousiasme évident de la jeune femme pour leur tâche était une bonne ou une mauvaise chose. Probablement qu’il le découvrirait en temps voulu, et sûrement à ses dépens puisque c’était ainsi que les choses fonctionnaient. Puisqu’elle semblait plus que ravie d’avoir été tirée au sort, Gabriel laissa sa coéquipière tirer au sort l’association pour laquelle ils allaient jouer, et ça n’avait rien à voir avec son propre manque d’enthousiasme, bien entendu. Quand le verdict tomba, le lutin-présentateur s’éloigna vers l’équipe suivante et l’envie de fuir de Gabriel s’amplifia, alors même qu’il n’aurait pas pensé ça possible. Les jeunes lisent plus ma brave dame ? Sérieusement ?! Ils auraient au moins pu faire l’effort de prendre des associations sérieuses ! Enfin bon, ce n’était pas le moment de râler, même si ce n’était pas l’envie qui lui manquait, mais plutôt celle d’écouter sa partenaire qui semblait bavarde.

- C’est à peu près ça, oui, confirma-t-il sur un ton un peu las parce qu’il ne pouvait pas non plus laisser la demoiselle faire la conversation seule. Ils récupèrent aussi des invendus de certains magasins ou les livres dont les bibliothèques ne veulent plus, et mènent des actions de sensibilisation dans les écoles, principalement les collèges mais aussi les lycées et les écoles primaires.

Le milieu associatif londonien n’était pas petit au point qu’il connaisse toutes les associations existantes mais, coup de bol ou non, il avait eu deux visites de représentants de Les jeunes lisent plus ma brave dame. Le premier lui avait proposé d’intervenir auprès des jeunes de Home for all pour les sensibiliser à la lecture et le deuxième voulait carrément qu’il lui donne les vieux livres de Viviane, ce qu’il refusa catégoriquement et peut-être pas de manière très diplomate. Ce qui expliquait sûrement pourquoi il n’y avait jamais eu d’interventions, maintenant qu’il y pensait. Enfin bon, ça n’avait pas d’importance et ce n’était pas une grande perte dans le fond. Mieux valait laisser ça de côté, sinon, ça risquait de l’agacer encore un peu plus et personne ne voulait ça. Surtout pas sa coéquipière qui était en train de se présenter. Milka donc. Original comme prénom, mais tout le monde ne pouvait pas avoir un prénom issu de la bible comme dans sa famille.

- Gabriel, se présenta-t-il donc à son tour, laconiquement.

S’il s’était fait une raison pour participer à ce cirque, il ne comptait pas non plus afficher un enthousiasme qu’il ne ressentait pas. Heureusement, ça ne semblait pas vraiment déranger Milka qui faisait la conversation avec le naturel qu’ont les personnes très sociales. Pour elle, il pourrait peut-être faire un petit effort. Il n’avait pas envie de lui gâcher son plaisir parce qu’il détestait les fêtes et tout ce qui allait avec. Ce ne serait pas juste, vraiment. Il s’efforça donc de participer un peu plus à la conversation en tâchant d’être un peu plus aimable.

- Je doute qu’il y ait une épreuve de culture générale mais, au pire, on devrait s’en sortir à deux. La culture, ce ne sont pas seulement les livres, et puis, je suis sûr que tu as d’autres atouts.

Est-ce qu’il n’en faisait pas un peu trop ? Il décida que non, ça ne coûtait rien de rassurer et d’encourager sa coéquipière, même s’il ne savait pas si c’était nécessaire ou non. De toute façon, il n’allait pas commencer à se prendre la tête sur le moindre petit détail sinon ils n’étaient pas sortis de l’auberge. Ou plutôt du calvaire dans le cas présent. A la mention de son pull, il baissa les yeux sur ce dernier pour l’observer rapidement. Pourquoi tout le monde lui faisait une remarque sur ce haut ? Il allait finir par croire qu’Evelyn avait raison et qu’il ferait mieux de le jeter ne serait-ce que pour avoir la paix, mais ça attendrait un peu puisque là, il était question de…cacahuète fumée ? Ouhla, elle allait beaucoup trop vite pour lui la demoiselle, elle devrait peut-être songer à garder son énergie pour les épreuves.

- Le destin aime l’ironie, répondit-il avec cynisme avant de retrouver un timbre plus normal. Rien de tout ça, je crois, mais je suis plutôt mauvais pour les casse-tête et une catastrophe quand il s’agit de tirs de précision.

Ses capacités étaient suffisantes pour lancer un jouet ou un bâton dans une direction approximative pour Pirate mais, globalement, ça s’arrêtait là. Ce qui était plutôt ironique puisqu’il était capable d’une grande précision quand il bricolait.

- Et toi ? Des choses à savoir ? lui retourna-t-il la question.

Il avait déjà pu constater qu’elle était pleine d’énergie, qu’elle avait un sacré débit de parole et qu’elle était plutôt sociale. Au moins, il devrait passer un moment pas trop désagréable en sa compagnie. Sauf si elle était dotée d’un fort esprit de compétition et qu’elle voulait gagner à tout prix, là, ça risquait de coincer. Parce qu’il n’avait pas spécialement envie de gagner, ni de se tuer à la tâche pour quelque chose dont il se fichait.

@Milka Thomson  

Plus il avançait dans le mois de décembre et pire c’était. Après le piège tendu par Pamela qui l’avait obligé à décorer Home for All et ses trois foutus sapins de noël, le voilà qu’il se retrouvait embarquer, de force, dans un jeu stupide de noël pour venir en aide à des associations insipides ! Comme si ça ne suffisait pas, il avait fallu qu’il tombe sur un association avec laquelle il avait un passif, pas forcément hyper agréable d’ailleurs, et une équipière avec beaucoup trop d’énergie pour lui. Franchement, une fois qu’il aurait fait ses courses, Gabriel prévoyait sérieusement de vivre en ermite jusqu’au 26 décembre pour être tranquille et ne pas tenter le sort une fois de plus ! En attendant, et comme il n’avait pas réussi à fuir, il se consolait en racontant ses mésaventures à Evelyn, même si les solutions proposées par ce dernier n’étaient pas forcément applicables dans son cas. Question de lâcheté, et de mauvais timing… Quoique, pour ce dernier point, peut-être pas en fait puisque sa camarade de galère avait des idées réactionnaires qu’il aurait plutôt tendance à valider d’ailleurs. S’il avait dû jouer pour une association discriminante, il n’aurait pas hésité à pousser une gueulante, ce qui lui aurait peut-être fait du bien d’ailleurs.

- On peut toujours faire exprès de perdre, marmonna-t-il dans son coin avant de reprendre sur un ton plus intelligible. Ils peuvent pas se permettre de se faire taxer d’intolérants pendant la période la plus prolifique de l’année pour eux, ça serait se mettre une balle dans le pied. C’est mieux de faire un partenariat avec des associations que monsieur et madame tout-le-monde-les-racistes-inclus approuvent plutôt que de prendre des risques en aidant des associations qui en auraient vraiment besoin.

Était-ce de l’amertume dans sa voix ? Totalement oui, mais en même temps, toute cette histoire le gonflait alors il n’allait pas y mettre du sien non plus. Encore que, s’il avait joué pour la banque alimentaire de Londres ou une association pour les orphelins, il aurait pu faire un effort ! Mais la promotion de la lecture chez les jeunes, il n’en avait pas grand-chose à faire pour être honnête. Ce qui ne l’empêchait pas de faire un effort, pour Milka surtout, parce qu’il n’avait pas non plus envie de détruire la motivation de la demoiselle. C’était bien que les jeunes aient encore de l’espoir dans la vie contrairement à lui, surtout les jeunes qui soutenaient la cause LGBTQ+. Raison pour laquelle il s’appliqua, maladroitement, à la rassurer sur ses capacités, même s’il ne la connaissait pas, il préférait qu’elle ne se laisse pas abattre avant même que ça commence. Même si ça n’avait pas l’air d’être le genre de la demoiselle qui était, décidément, pleine de surprise puisque voilà qu’elle lui annonçait qu’elle parlait trois langues, dont le norvégien. La surprise qui apparut sur le visage de Gabriel était des plus sincères. Au moins, Milka pouvait se targuer de lui faire ressentir plus de choses que ce jeu concours stupide.

- Je doute que ce soit effectivement un test de culture générale mais oui, deux têtes valent mieux qu’une il paraît. Donc, tu parles norvégien ? C’est impressionnant, ça n’a pas été trop compliqué à apprendre ? Et la troisième langue que tu parles, c’est ?

S’il faisait la conversation, c’était surtout par politesse parce que, dans le fond, il s’en fichait un peu, il n’était pas sûr de la revoir cette Milka mais c’était toujours mieux que de se morfondre tout seul en grommelant dans son coin contre l’univers qui avait vraiment un sens de l’humour douteux ! Ce qui ne l’empêcha pas d’avoir recours au sarcasme quand il fut justement question de l’univers, il voulait bien faire des efforts, mais il avait ses limites quand même. En fait, il ferait peut-être bien de faire un effort puisque Milka n’était apparemment pas patiente. Ou alors, il continuait à être désagréable en espérant que ça la fasse renoncer à participer à cette farce et qu’ils puissent partir tranquillement ? Non, quand même, ça serait jouer avec le feu et ce n’était pas sympa. Même s’il fut tenté quand elle parla de faire passer ses nerfs. De quoi elle se mêlait au juste ?! Bon, ne pas s’énerver, ça n’arrangerait rien. Gabriel prit une profonde inspiration pour, justement, calmer ses nerfs avant de répondre, le tout avec un sourire poli.

- Non, je préfère te laisser faire, surtout si tu es “un peu bourrine”, tu t’en sortiras mieux que moi. D’ailleurs, mes nerfs vont très bien mais c’est gentil de t’en soucier.

Après le sarcasme, la mauvaise foi, c’était vraiment la journée de Gabriel ! Et pour ne rien arrangeait, voilà que la première épreuve arrivait. Enfin, plus vite ils auraient commencé et plus vite il serait débarrassé de cette corvée donc il n’allait pas trop se plaindre. En fait, si, il allait totalement se plaindre puisque la première épreuve n’était autre qu’un putain de casse-tête après que Milka et lui aient dit que ce n’était pas leur point fort ! L’Univers était vraiment un sacré enfoiré. Au moins, parce qu’il y avait une minuscule once de positivité dans tout ce merdier, Milka et lui étaient sur la même longueur d’onde et ils purent échanger un long regard blasé, avant que Gabriel ne pousse un énième soupir.

- A toi l’honneur pour le briser en deux du coup, proposa-t-il, partagé entre l’agacement et l’exaspération.

Sauf que cette connerie était faite de filins, pas vraiment le genre de truc qu’on pouvait briser en deux par la seule force de ses mains. Même en étant bourrin. Ce qui ne leur laissait pas d’autre choix que d’essayer de résoudre ce casse-tête. Bon, ils auraient aussi pu partir mais apparemment, ça ne semblait pas être une option donc au boulot ! Comme l’avait dit la demoiselle plus tôt, deux têtes valaient mieux qu’une et ça semblait se vérifier puisqu’ils réussirent à faire passer la bille de l’autre côté et sans finir dernier en prime ! Bon, Gabriel n’avait aucune idée de comment ils avaient fait et il serait bien incapable de reproduire l’exploit mais au moins, c’était fait !

@Milka Thomson  

Si même aller faire ses courses devenait un supplice, Gabriel allait vraiment reconsidérer l’idée de rester enfermé chez lui jusqu’au 26 décembre. Peut-être même bien jusqu’à l’anniversaire d’Ezra en fait, histoire d’avoir un peu de temps pour se remettre de ses émotions. Sauf que, pour l’heure, ce n’était pas vraiment à l’ordre du jour puisqu’il se retrouvait embarquer dans un jeu concours stupide pour gagner il ne savait même pas quoi et le tout pour une association pas vraiment dans le besoin ! Si encore le but était de gagner un voyage aux bahamas - ou n’importe où ailleurs, il n’était pas difficile - pour ces maudites fêtes, il y aurait mis du sien mais là, franchement, ça l’emmerdait plus qu’autre chose ! Même s’il voulait bien faire des efforts parce qu’il n’était pas seul dans cette galère puisqu’il avait hérité d’une coéquipière, Milka, qui lui faisait la conversation alors même qu’il n’était pas le plus aimable ni le plus agréable qu’il soit. Bon après, si elle voulait le lancer sur des sujets fâcheux, il ne pouvait non plus jouer les hypocrites.

- Je suis presque sûr qu’on pourra pas négocier et qu’à la fin de cette mascarade, ils vont annoncer qu’on a tous remporté un petit truc pour aider ces magnifiques associations, lâcha-t-il avec sarcasme. Mais, à choisir, j’aurais encore préféré donner à des associations qui aident les gens la rue, qui apportent de quoi se nourrir aux gens les plus nécessiteux, voir même, quitte à rester sur l’esprit des fêtes, une asso qui permet à des gosses d’avoir des cadeaux pour noël, plutôt que de satisfaire l’égo de la ménagère moyenne qui va être contente parce que trois collégiens vont avoir droit à un exemplaire de Jane Austen qu’ils n’ouvriront jamais.

Ok, il était peut-être amer en disant ça mais il fallait reconnaître la stupidité de la chose ! A la limite, si c’était pour promouvoir des associations dont personne n’avait entendu parlé, il aurait pu comprendre, mais là c’était carrément pour les aider, probablement financièrement, alors qu’il y avait quand plus important et plus urgent à gérer en ville. Ou dans le monde, mais là, c’était encore une autre échelle. Heureusement que lui n’attendait pas ce genre d’évènement stupide pour mettre la main au portefeuille pour aider les associations qui étaient vraiment importantes selon lui, et qui ne détournaient pas les fonds tant qu’à faire. Quitte à donner de grosses sommes, autant vérifier que l’argent sera bien utilisé.

Bon, plutôt que de pester et de râler - et de soupirer et de maudire intérieurement la moitié des personnes présentes dans ce supermarché - Gabriel préféra se concentrer sur quelque chose qui l’agacerait moins. Sa coéquipière pour cet enfer en l’occurrence, même s’il n’était pas spécialement intéressé par tout ça, ça restait mieux que de se taper mentalement la tête contre les murs. D’autant plus que c’était elle, une fois encore, qui avait fait l’effort de lui poser des questions, c’était la moindre des choses de s’intéresser un minimum à ce qu’elle pouvait bien raconter. A sa décharge, elle parvint à le surprendre en lui listant les langues qu’elle parlait, ce qui le dérida un peu.

- Impressionnant, à t’entendre, on pourrait croire que tu as parlé anglais toute ta vie, fit-il remarquer une fois la surprise passée.

Si Milka avait réussi à le dérider, elle parvint également à le faire se renfrogner sans attendre quand elle lui proposa de casser, littéralement, le casse-tête si jamais c’était une de leur épreuve. Et ça ne s’arrangea pas quand il déclara, avec beaucoup de mauvaise foi, que ses nerfs allaient très bien puisqu’elle se mit carrément à rire ! Sérieusement ?! Il ne voyait même pas ce qu’il y avait de drôle dans cette histoire, raison pour laquelle il lui lança un regard noir. D’accord, il n’était pas très doué pour ça mais là quand même ! Elle s’attendait à quoi au juste ? A ce qu’il lui déballe ce qu’il avait sur le cœur alors qu’il ne la connaissait même pas ? Le pire, c’était qu’elle continuait ! Il préférait encore se prendre des réflexions de Pamela ou d’Ezra parce qu’eux, au moins, il pouvait les remettre à leur place !

- Merci pour ta sollicitude, c’est fort aimable à toi ! répliqua-t-il sur un ton glacial.

Le pire, c’était qu’elle avait raison sur un point, il avait effectivement mieux à faire de son temps que de participer à ce jeu à la con mais comme l’univers avait un sens de l’humour bien à lui, il se retrouvait coincé ici avec elle. Il n’avait donc pas d’autre choix que d’en prendre son parti pour essayer de rendre ce calvaire un peu plus supportable. Il apprécierait d’ailleurs que Milka y mette un peu du sien et qu’elle le laisse ruminer autant qu’il le souhaitait sans faire de commentaires. Heureusement pour lui, la première épreuve arriva et coupa court à leur conversation. Enfin, “heureusement”, c’était vite dit vu l’épreuve qui les attendait. Un putain de casse-tête. Quand il disait que l’univers avait un humour de merde ! Au moins, pour le coup, il n’était plus le seul à se plaindre et à râler, c’était toujours ça de pris ! Là, il ne risquait plus d’avoir une remarque de la demoiselle, au contraire même, puisqu’elle en venait à monter des plans machiavéliques pour remporter cette épreuve sans qu’ils ne se prennent la tête.

- Bonne idée, approuva-t-il avec son premier vrai sourire de la journée, même s’il restait timide. Sauf que je doute qu’on nous laisse faire, ni que ce soit très discret…

Ce qui voulait dire qu’ils n’avaient pas d’autre choix que de s’y coller, ou d’abandonner, pour passer à l’épreuve suivante. Personnellement, il aurait bien abandonné mais bon, ça ne semblait pas être une option pour la demoiselle qui lui demanda, de manière plus ou moins rhétorique, la marche à suivre. Qu’il confirma d’un signe de tête avant de se mettre au travail avec elle. Non pas parce qu’il avait envie de gagner, il pensait toujours à saboter leur participation, mais plutôt parce que ça serait toujours moins pire que d’attendre les bras croisés. En théorie, parce que dans les faits, ça restait très frustrant. Et énervant. Presque autant que le lutin présentateur de ce jeu stupide. Ce qui ne les empêcha pas, par un miracle inattendu, de réussir à faire passer la bille de l’autre côté. Gabriel ne savait pas comment ils avaient fait mais il s’en fichait, ils l’avaient fait, c’était tout ce qui comptait !

- Tant mieux, parce que j’étais à deux doigts d’envoyer valdinguer ce truc dans la tête de l’autre clown ! marmonna-t-il en se redressant pour s’éloigner de cet objet de malheur.

La bonne nouvelle, pour Milka surtout, était qu’ils n’étaient pas derniers, mais septième. C’était bien la preuve qu’un miracle était à l'œuvre derrière tout ça ! A moins que la jeune femme ne soit en réalité plus douée pour les casse-tête que ce qu’elle prétendait, mais il avait un doute, elle n’aurait pas réagi comme ça sinon. Bien, la première épreuve était réussie mais ils n’eurent pas le temps de se reposer sur leurs lauriers que le lutin en chef repris la parole pour annoncer le classement, félicitant les trois premiers que Gabriel applaudit mollement, mais, surtout, la prochaine épreuve. Au moins, ça s’enchaînait vite et ils n’avaient pas à attendre une demi-éternité entre chaque étape ! Sauf que, pour le coup, il n’avait pas vu venir la deuxième épreuve. Créer une histoire à partir de quatre objets qui leur seront donné au hasard et le tout en dix minutes ? Bon, d’accord, pourquoi pas après tout. C’était toujours mieux qu’un casse-tête ! Sans tarder, un autre lutin poussa un chariot devant eux et leur dévoila leurs objets : une poêle, un livre, un râteau et un parapluie. Qu’est-ce qu’ils allaient bien pouvoir faire avec ça ? Apparemment, Milka se posait la même question puisqu’elle lui demanda son avis. Gabriel prit quelques instants de réflexion avant de se lancer dans des propositions.

- Bah, soit on personnifie les objets et on leur invente une vie. Par exemple, on peut dire que le râteau et la poêle sont mariés mais que le râteau a trompé la poêle avec le parapluie et que le livre n’est autre que le juge qui va prononcer le divorce, proposa-t-il en se grattant la tête tout en réfléchissant. Enfin, c’est juste une proposition, je suis sûr qu’on peut faire mieux que ça ! Sinon, on utilise juste les objets pour qu’ils aient de l’importance dans l’histoire et là, on peut partir sur ce qu’on veut. Un banal conte de noël, une classique histoire d’amour. J’imagine qu’ils attendent un truc bien mièvre et cucul vu le public.

Ce qui était totalement son domaine de prédilection, bien entendu. Non, pas du tout en fait, surtout pas pour le moment alors qu’il avait surtout des envies de meurtres ! D’ailleurs, ça lui donna une idée et cette fois, ce fut lui qui se tourna vers Milka avec un air de conspirateur.

- Sinoooooon, on peut partir sur une histoire de meurtre pour faire original, au hasard, je propose qu’on assassine un lutin du père noël, juste pour être dans le thème, proposa-t-il avec un air innocent qui ne trompait personne. Il faut juste choisir lequel de ses quatre objets est l’arme du crime quoi.

Ce n’était probablement pas ce qu’attendaient les organisateurs du jeu, mais dans la vie, on n’avait pas toujours ce qu’on voulait ! La preuve, il était coincé dans cette compétition stupide, donc il pouvait bien rendre les choses plus agréables pour lui. Bon, après, il n’était pas sûr que Milka accepte, mais vu son look, il ne serait pas très surpris que ce soit le cas. De toute façon, il pouvait bien espérer, ça ne coûtait rien. Enfin, dans le cas présent, parce qu’il ne serait pas non plus déçu par un refus.

@Milka Thomson  

Non content de l’avoir coincé dans un jeu stupide, sur le thème de noël, organisé par un lutin qui aurait plus sa place dans un film d’horreur que dans un film familial, voilà que l’univers le punissait un peu plus, et Milka avec, en leur collant une épreuve de logique ! Soit pile ce qu’ils ne voulaient pas, ni l’un, ni l’autre ! Au moins, ça leur faisait un sujet de conversation et, surtout, un motif de râlerie commun qui était plutôt bienvenu. Par il ne savait quel miracle, sa partenaire et lui arrivèrent au bout du cauchemar, et réussirent même l’exploit de ne pas finir dernier ! Bon, ça, Gabriel s’en moquait bien, mais il fut quand même soulagé en voyant la petite bille sortir de cet entrelacs de fils. Le tout, sans avoir eu besoin de recourir à la tricherie, même si, dans ce cas précis, c’était plus que tentant, mais malheureusement pas réalisable. A peine eurent-ils fini qu’il se redressa pour s’éloigner de l’engin de torture en grommelant dans sa barbe. Pas suffisamment bas pour que Milka ne l’entende pas puisque la demoiselle se mit à rire de sa remarque. La réponse qu’elle lui donna le fit légèrement sourire, et calma, un peu, sa contrariété.

- Promis, si j’en arrive là, j’essaierais de te prévenir avant de lancer l’attaque !

Même s’il doutait d’en arriver là. D’accord, le lutin-présentateur lui sortait par les yeux et peut-être bien qu’il avait envie de lui faire bouffer son bonnet à grelot, mais il savait se contenir. Il n’avait jamais spécialement été sanguin, dans sa jeunesse, il était même plutôt celui qui empêchait Ezra de partir au quart de tour, mais il supposait que tout pouvait arriver. Surtout dans un contexte aussi agaçant que celui-là et encore plus si on leur proposait une nouvelle épreuve de logique ! Heureusement, ce ne fut pas le cas, puisqu’à la place, on leur apporta un chariot où se trouvaient quatre objets. Une poêle, un parapluie, un râteau et un livre. Gabriel resta perplexe un moment devant cet ensemble hétéroclite jusqu’à ce que les règles soient expliquées. Créer une histoire à partir de ces objets donc, c’était quand même mieux qu’une épreuve de logique et ça lui semblait plus faisable. Il leur faudrait juste un peu d’imagination et même si ce n’était pas forcément un domaine dans lequel il excellait, il devrait pouvoir s’en sortir à peu près.

Pour preuve, il fut même le premier à donner des idées pour cette épreuve ! Les premières sont plutôt classiques, l’originalité résidant dans le fait de transformer les objets en personnages de l’histoire, mais l’idée d’un mariage qui tourne mal, c’était du vu et revu. Peut-être qu’il aurait pu s’attarder un instant pour se demander pourquoi c’était la première idée qui lui venait en tête mais, malheureusement, il n’avait pas le temps pour ça puisqu’ils n’avaient que dix minutes pour cette épreuve. Quel dommage ! En plus, il avait d’autres idées à trouver pour proposer plusieurs pistes d’exploration à Milka, ce n’était pas le moment de chômer. Surtout qu’il eut soudain une illumination qui pourrait rendre cet exercice bien plus intéressant, à condition que sa partenaire soit d’accord avec lui. D’après ce qu’il avait pu voir jusque-là, ça ne devrait pas trop poser de problèmes et justement, elle approuva vivement son idée et rebondit même en ajoutant sa touche au scénario. Finalement, peut-être que ce jeu concours hypocrite serait un peu plus intéressant qu’il ne l’avait cru au premier abord.

- Un parapluie en arme du crime, ça me semble bien ! approuva-t-il vivement. C’est suffisamment inattendu pour que personne ne le voit venir et en même temps, ça reste faisable plutôt facilement !

Non parce que pour tuer avec un livre, il faudrait, à la limite, arracher les pages une par une pour les enfoncer dans la gorge de la victime et bon… ce n’était pas vraiment l’esprit qu’on attendait dans un supermarché. Après, peut-être qu’il y avait d’autres façons de faire, mais il n’avait pas suffisamment d’imagination pour se pencher sur la question. D’autant plus qu’ils avaient un temps imparti pour monter leur histoire donc ce n’était pas l’heure de traîner ! Heureusement, Milka avait déjà des idées de scénarios qui colleraient parfaitement à leur crime pas vraiment parfait. Il savait bien que l’idée avait le potentiel de lui plaire !

- Ou alors, on peut mélanger les deux idées ! Il y a le lutin déserteur qui s’occupe de son jardin zen avec son tout petit petit râteau et comme il y a des plaintes, le lutin comptable vient pour lui dire qu’avec son attitude, l’atelier va droit dans le mur, avec des preuves à l’appui, sur le livre de comptes. Comme il pleut, il a un parapluie pour protéger son livre. Le ton monte, une dispute éclate et le lutin au râteau finit par mourir, proposa-t-il tout en réfléchissant. Par contre, il nous manque la poêle, je sais pas trop comment l’intégrer à ce scénario, il faudrait rajouter une troisième personne je pense, sinon ça ferait bizarre.

Ils pouvaient difficilement justifier de la présence d’une poêle dans un jardin de l’atelier du père noël, déjà que le jardin zen c’était un peu bizarre, mais bon, un lutin excentrique qui ne faisait pas comme tout le monde, ça ne semblait pas non déconnant. Alors qu’il réfléchissait à la suite de l’histoire, il eut la désagréable surprise d’entendre la voix de leur future victime… du présentateur les couper pour faire une annonce sur l’épreuve en cours.

- Le travail d’équipe, c’est important, mais savoir s’adapter à toutes les situations, ça l’est encore plus ! annonça grelot-en-chef en agitant son chapeau pour attirer l’attention. C’est pourquoi, on va un peu corser les choses et rajouter un cinquième objet à nos binômes qu’ils devront intégrer dans leur histoire ! Mes lutins ? Apportez les objets !!

Ah oui, il prenait vraiment son rôle très à coeur celui-là… Gabriel était d’autant plus content d’avoir décidé de le supprimer dans leur histoire, ça avait un petit côté satisfaisant ! Obéissant à celui qui semblait être le chef de la troupe, un lutin s’approcha d’eux pour leur apporter une boîte en forme de cadeau qu’il lui demanda d’ouvrir. A l’intérieur se trouvait une guirlande lumineuse, mais pas le modèle classique à loupiotes colorées, là, c’était carrément des rennes et des pères noël qui s’allumaient. Ils étaient un peu terrifiants d’ailleurs mais il préféra garder son commentaire pour lui. Une fois le lutin parti, il se tourna vers Milka pour qu’ils puissent retourner à leur histoire.

- Donc maintenant il faut qu’on trouve un moyen d’intégrer la poêle ET cette guirlande affreuse. Des idées ? demanda-t-il parce que lui n’en avait pas vraiment, quoique… Remarque, on peut toujours se servir de la guirlande pour ligoter le lutin assassin mais j’avais bien envie qu’il s’en sorte.

Ce qui était probablement dû à son côté cynique, qui ne ressortait qu’au mois de décembre ou presque, mais ce n’était pas de sa faute non plus si le lutin-chef était agaçant au point de donner des envies de meurtre aux gens ! Le pauvre lutin comptable devrait même être récompensé pour servir rendu à l’atelier mais là, il avait comme l’intuition que ça ne serait pas vraiment accepté. Ce qu’il pouvait comprendre, faire l’apologie du meurtre, sans aucune conséquence, dans un centre commercial un mercredi, c’était sûrement hors de propos.

@Milka Thomson  

Quand Milka avait proposé d’utiliser le parapluie comme arme du crime, Gabriel n’avait pas réfléchi plus loin avant d’accepter. Les détails, ce n’était pas forcément son fort dans ce genre de cas, il s’était simplement dit qu’un coup de parapluie bien placé derrière la nuque pouvait être suffisant pour tuer un lutin chiant. Les lutins, ça devait pas spécialement être résistant et, au pire, ils n’étaient pas là pour faire l’histoire la plus crédible du monde, ils n’avaient que dix minutes après tout. Par contre, il ne s’était pas attendu à ce que Milka propose carrément de tuer le lutin en lui enfonçant le parapluie dans le bide. Là, tout de suite, ça faisait plus film d’horreur que conte de noël un peu macabre, mais justement, Evelyn ne venait-il pas de lui conseiller d’insérer des détails bien glauques pour essayer d’obtenir la disqualification ? De toute façon, il n’avait ni le temps, ni l’envie, de débattre de tout ça avec Milka donc autant aller dans son sens. Dans l’absolu, il se moquait bien de savoir comment était tué le lutin, ils avaient une histoire à monter et peu de temps pour ça !

Heureusement, il semblait être avec la bonne personne pour monter une histoire à peu près crédible en peu de temps puisque Milka ne manquait pas d’idées. Elle en avait même plusieurs qu’il réussit à assembler ensemble, pris d’un soudain éclair de génie qui le surprit lui-même. Ce qui le surprenait aussi, c’était qu’il s’amusait dans cette épreuve, ce qu’il n’avait pas vu venir mais il n’allait pas s’en plaindre non plus ! Tout comme il n’allait pas le faire remarquer parce qu’il ne fallait pas abuser non plus ! En plus, ils devaient toujours trouver comment intégrer une poêle à leur histoire. Ce qui était moins simple qu’il n’y semblait puisque l’intrigue se passait dans un jardin zen et que ce n’était pas vraiment le genre d’objet qu’on trouve habituellement dans ce genre de lieu ! Ça ne les empêcherait pas de trouver quelque chose, Gabriel n’avait aucun doute sur ce sujet, mais ils auraient plus de chance d’y parvenir rapidement s’ils n’étaient pas coupés par l’abruti qui servait d’animateur. Pour le coup, il n’était pas le seul à être gonflé à en juger par le regard que lui lança sa coéquipière, vite suivi d’une remarque sarcastique.

- Un truc dans le genre, ouais… Il est fatiguant, approuva Gabriel avec un mépris à peine dissimulé. Il doit chercher à nous faire perdre du temps ou à montrer ses “grands talents d’animateur” pour se faire mousser auprès du Père Noël.

Peut-être qu’il pensait ça parce qu’il avait immédiatement pris ce type en grippe mais Gabriel trouvait que c’était bien le genre à tirer la couverture à lui pour se faire bien voir. Ce qui ne marchait pas franchement dans le cas présent puisqu’il était juste pathétique. Fort heureusement, son petit numéro ne dura pas trop longtemps et après avoir découvert leur nouvel objet - une guirlande hideuse - ils purent repartir sur l’invention de leur histoire. Après un commentaire de mise sur le design franchement douteux de leur nouvel objet. La manière dont Milka en parlait le fit sourire, vraiment amusé par sa manière de tourner les choses. Elle avait de la ressource la petite !

- Je vois parfaitement oui, mais ça fait nos affaires au bout du compte, fit-il remarquer en attrapant la guirlande pour la montrer à Milka. Tu trouves pas que ça s’intègre parfaitement dans une histoire de meurtre ? A croire qu’ils voulaient vraiment qu’on parte dans cette direction.

Il en doutait sérieusement, mais c’était plus amusant de présenter les choses sous cet angle. Et ça faisait une transition parfaite pour revenir à leur sujet, d’autant que le temps s’écoulait et qu’ils devaient se dépêcher. Et qu’ils devaient trouver comment caser non pas un mais deux objets ! Le plus logique serait d’utiliser la guirlande pour immobiliser le meurtrier mais il n’avait pas envie qu’il se fasse attraper. Comme il manquait d’imagination pour cette partie, ce fut Milka qui trouva la solution parfaite, à croire qu’elle s’y connaissait en crime. Peut-être avait-il aff aire à une amatrice de roman policier ? Dans le fond, ça n’avait pas d’importance, tant qu’ils avaient une histoire à soumettre à la fin. Il écouta la proposition de sa coéquipière jusqu’au bout, se retenant de rire quand elle arriva à la partie dans la cuisine. C’était vraiment une retournement de situation inattendu qui ajouté une touche de comique dans une histoire pourtant plutôt sordide, il trouvait ça génial.

- Excellente idée ! On se retrouve donc avec un lutin qui creuse dans la neige avec une poêle, suffisamment pour cacher un corps. Peut-être même qu’il peut y abandonner le parapluie et la poêle, tu en penses quoi ? proposa-t-il tout en réfléchissant à la suite. Il nous faut une conclusion pour l’histoire maintenant, un genre de tout est bien qui finit bien.

Puisqu’il n’y avait pas de morale particulière à tirer de cette histoire, ce ne devrait pas être compliqué à trouver quelque chose, il suffisait juste d’y réfléchir. Bon, comment ça se passait dans les contes de fée ? Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ? Non, c’est pas vraiment possible dans leur cas, mais une autre idée germa dans son esprit qui lui plaisait beaucoup plus !

- On peut dire qu’il y a un nombre de lutins fixe et que donc, le lutin-tué est magiquement remplacé par un nouveau lutin qui lui fait correctement son travail. Comme ça, le lutin-comptable a vraiment sauvé noël et tout le monde est content ! Par contre, il va falloir qu’on leur trouve des noms parce qu’on risque de s’embrouiller en les appelant juste “lutin”, fit-il remarquer face à l’abondance du mot dans son explication. Tu penses quoi de “John” pour notre victime ?

Bien entendu, il faisait cette proposition uniquement parce que c’était un prénom courant, ça n’avait rien à voir avec le fait que son ex s’appelait justement comme ça. C’était une pure coïncidence, vraiment, et comme il n’y avait personne pour prouver le contraire, il devrait s’en tirer à bon compte !

@Milka Thomson  

Finalement, quand le sujet de conversation n’était pas lui-même, Gabriel trouvait que Milka était une chouette jeune femme, avec de la répartie et un sens de l’humour inhabituel mais plutôt agréable. Il préférait largement que ce soit le présentateur lutin - ou bouffon - qui soit la cible de ses remarques mordantes ! Dans ces conditions, ça l’amusait même ! Il aurait presque aimé que la demoiselle continue parce que ça avait un côté défouloir mais, malheureusement, ils avaient une histoire à terminer et n’avaient donc pas le temps pour ça. Surtout qu’ils devaient rajouter deux objets à leur histoire, dont une guirlande de noël qui aurait parfaitement sa place dans un film d’horreur. C’était peut-être ça, d’ailleurs, le but caché de cette épreuve ! Bon, il était peu probable que ça soit vrai, mais l’idée était suffisamment plaisante pour que ça les amuse, Milka et lui.

Après ce petit interlude récréatif, ils se remirent sérieusement au travail pour leur histoire. Milka trouva une idée géniale pour ajouter la poêle et la guirlande de l’enfer à leur scénario et il se contenta de broder autour, en proposant notamment que leur lutin-tueur enterre les preuves avec le cadavre. Bien sûr, Gabriel avait parfaitement conscience que c’était une idée stupide qui faciliterait le travail des enquêteurs mais on ne leur avait pas demandé de créer une histoire crédible et cohérente alors il faisait avec les moyens du bord. De toute façon, il ne devait pas y avoir de crime au pays des bisounours donc les lutin-enquêteurs devaient être très nul pour mener l’enquête ! Maintenant que ce détail était réglé, il ne leur en restait plus qu’un et non des moindres : la conclusion de cette merveilleuse histoire. Quitte à être dans le grand n’importe quoi, ils décidèrent, d’un commun accord, que l’assassin s’en sortirait sans aucun problème, sauf qu’il fallait encore le justifier. S’ils arrêtaient l’histoire à la partie où il enterrait le corps et les preuves, les spectateurs et organisateurs, pourraient s’imaginer qu’ils n’avaient pas fini et que le lutin se faisait attraper par la suite ce qui n’était pas leur but. Contre toutes attentes, surtout les siennes, Gabriel trouva une idée pour résoudre habilement ce problème, tout en restant dans l’absurde. Un bon gros “ta gueule, c’est magique” en somme ! En général, il avait plutôt horreur de ça, mais pour un jeu pareil, il était prêt à ignorer ses principes.

- Voilà, exactement, je l’aurais pas mieux dit ! approuva-t-il en hochant la tête. En fait, on est totalement en train d’inventer un conte de noël dont le but est de sauver Noël, je vois pas ce qui pourrait mal se passer !

Tout, tout pouvait mal se passer en réalité mais Gabriel s’en fichait pas mal ! En fait, il comptait même un peu dessus, que les organisateurs prennent mal leur histoire et les disqualifient. Comme ça, il pourrait retourner tranquillement à ses courses pénibles pour ensuite s’enfermer chez lui jusqu’à l’année prochaine, ça lui semblait être un plan parfait ! Manquait plus que des noms pour leurs personnages, histoire que ce soit un minimum compréhensible par le public et ils étaient bons. Tout à fait au hasard, il proposa d’appeler la victime “John” et il laissa le plaisir de nommer le héros à Milka.

- Dimitri, c’est parfait.

Il n’avait aucune exigence en matière de prénom pour leur lutin-coupable-assassin-sauveur de noël donc Milka pouvait l’appeler comme elle le voulait. Quoique, peut-être qu’il aurait plus de mal si elle l’avait appelé Ezra, Evelyn ou Pirate, mais il y avait quand même peu de chance. Dimitri, c’était donc très bien ! Comme il leur restait un peu de temps, Milka proposa de réfléchir à la répartition de la narration, chose à laquelle Gabriel n’avait pas pensé. Bêtement, il s’était dit que sa coéquipière raconterait tout mais, en réalité, c’était logique qu’ils se partagent la tâche. Au moins, il avait quelques secondes pour réfléchir à ce qu’il préférait avant la fin du temps imparti.

- Pas vraiment, mais comme t’as l’air beaucoup plus dynamique que moi, je pense que tu pourras plus accrocher le public, fit-il remarquer pensivement. Du coup, on peut dire que je m’occupe de poser la situation de base et de raconter l’épilogue, tu sais, comme dans les vieux films quand il y a une voix off qui explique tout, et toi, tu racontes les péripéties. Enfin, si tu es d’accord, je ne veux rien t’imposer !

Ce n’était pas son genre d’imposer sa volonté aux autres, donc si Milka préférait faire autrement, ça lui allait. Et si elle était d’accord, il pourrait en profiter pour brandir leurs objets derrière la demoiselle aux bons moments de l’histoire. Ils eurent tout juste le temps avant que l’autre blaireau ne donne un gros coup de sifflet pour signaler la fin des dix minutes de réflexion. Putain qu’il était con celui-là… Gabriel ne serait pas mécontent de ne plus le voir quand toute cette mascarade serait finie ! Pendant que le guignol donnait ses consignes, qu’il n’écoutait pas vraiment, il se pencha vers sa coéquipière pour lui souffler à l’oreille :

- Il devrait siffler plus fort, je suis pas sûr que les petites mamies du fond soient réveillées ou qu’elles aient bien entendu, ironisa-t-il sur un ton blasé.

Franchement, le présentateur prenait son rôle beaucoup trop au sérieux pour l’évènement que c’était. Heureusement pour eux, et leurs oreilles, ce n’était plus à lui d’avoir la parole mais aux autres équipes. C’était donc parti pour écouter des histoires de qualité plus que discutables. Il n’était pourtant pas très exigeant mais le niveau ne volait pas très haut, il fallait le reconnaître. Il se retrouva même plusieurs fois à lever les yeux au ciel à cause des bêtises qu’il entendait. En fait, plus les histoires se succédaient et plus Gabriel en venait à se dire que, finalement, ils avaient peut-être une chance de gagner avec leur histoire de meurtre. Il ne connaissait pas les critères de sélection, mais si les organisateurs voulaient quelque chose d’original, ils avaient toutes leurs chances. Merde quoi. Il n’a pas le temps de s’inquiéter plus que ça pour la suite puisque leur tour arrive. Quand il faut y aller hein…

- Notre histoire commence un beau matin de décembre, à moins de deux semaines de noël, dans l’atelier du père noël, en Laponie, commença-t-il en essayant d’adopter le ton d’un vieux sage. Dimitri, le petit lutin comptable, était dans son bureau, penché sur son livre de compte, les sourcils froncés parce qu’il venait de remarquer une anomalie, et pas une petite anomalie anodine. Non, plutôt le genre de problème qui pouvait tout simplement détruire noël ! Heureusement, notre héros était bien décidé à faire ce qu’il fallait pour que ça n’arrive pas et que tous les enfants du monde reçoivent leurs cadeaux à temps, enfin presque.

Ce qu’il fallait pas dire putain… Ok, il avait nuancé son propos, mais encore, pas autant qu’il le voulait. Sauf que pour raconter leur histoire, il n’allait pas non plus se lancer dans une grande explication sur l’hypocrisie de noël et l’enrichissement du capitalisme. Certes, il le pensait, sincèrement même, mais il n’était pas là pour ça. Et il devait passer le flambeau à Milka pour que Dimitri aille tuer John, ça limiterait les dégâts. Il se tourna donc vers elle pour l’inviter à raconter la suite de l’histoire.

@Milka Thomson  

Même si dix minutes pouvaient paraître très court, ils n’eurent pas besoin de plus pour monter une histoire de meurtre avec des rebondissements saugrenus, un bon dénouement et pour se répartir les rôles ! Comme quoi, quand il n’était pas question de logique, ils formaient une plutôt bonne équipe ! Alors certes, ce n’était pas avec leur histoire à la moralité douteuse qu’ils allaient gagner mais, franchement, Gabriel n’en avait rien à faire de gagner. Même s’il passait un moment moins pénible qu’il ne l’aurait cru, il avait toujours hâte que cette mascarade prenne fin. Et le présentateur trop zélé n’était pas étranger à cette envie. Plutôt que de s’agacer face à son attitude déplorable, et, il fallait le reconnaître, un peu pathétique, il préféra se tourner, pour une fois, vers le sarcasme. L’avantage, c’était que Milka était totalement réceptive à ce genre d’humour et qu’elle ne se fit pas prier pour renchérir, lui arrachant un ricanement amusé qui leur valut un regard noir du lutin-en-chef. Il fallait vraiment que ce type se détente ! Malgré tout, ils restèrent sages pendant que les autres participants déroulaient leurs histoires, pas vraiment passionnantes et pleines de clichés, jusqu’à ce que leur tour arrive.

Si Gabriel n’était pas vraiment habitué à devoir s’adresser à un public, surtout aussi dense, il ne se laissa pas démonter pour autant. En fait, il s’en sortit même relativement bien, à sa grande surprise, mais il avait la partie facile. Aussi donna-t-il la main à Milka avec un certain soulagement parce qu’il n’avait aucune idée de comment il aurait pu raconter cette histoire de meurtre avec panache. La demoiselle, elle, s’en sortit avec brio ! Il avait beau déjà connaître l’histoire, il avait l’impression de la redécouvrir quand elle la racontait. A la voir faire, avec beaucoup d’aisance, il avait presque l’impression qu’elle avait fait ça toute sa vie. Peut-être était-ce le cas d’ailleurs, puisqu’il ne la connaissait pas dans le fond. Même s’il était absorbé par l’histoire que racontait sa coéquipière et qu’il se surprit plusieurs fois à sourire, Gabriel n’oublia son rôle pour autant et pris soin de brandir, derrière Milka, les objets qui leur avaient été attribué au moment où elle les évoquait, histoire de montrer qu’ils avaient respecté les règles, même si leur “conte de noël” ne correspondait pas aux attentes des organisateurs. Ni du public d’ailleurs, même si les réactions étaient encore timides.

Arriva enfin le moment qu’il attendait : Milka annonçait le meurtre. De manière à la fois concise et violente, grâce à l’utilisation du mot “transpercer”. Non, vraiment, il n’avait rien à redire, elle était très forte ! Là, bizarrement, la foule eut une réaction plus marquée que pour le reste de l’histoire mais le mieux restait la tête du présentateur, qui affichait une expression indignée et choquée des plus convaincante. C’était certes puéril, mais Gabriel prit ça comme une petite victoire personnelle, si bien qu’il ne put retenir le sourire narquois qu’il adressa à leur victime fictive avant de se concentrer de nouveau sur l’histoire que narrait Milka. La conclusion approchait et il devait se tenir prêt à raconter la fin de leur conte. Ce qu’il était prêt à faire, jusqu’à ce qu’il se fasse prendre de court par le “TOUT DOIT DISPARAÎTRE” et qu’un rire incrédule ne lui échappe. Forcément, il se retrouva à reprendre l’histoire avec un léger train de retard mais il estima que ce n’était pas bien grave.

- Une fois les preuves de son acte enterrées, Dimitri jugea plus sage de retourner dans son bureau pour reprendre son travail. A deux semaines de noël, ce n’était pas le moment de lambiner et il avait encore plein de choses à faire, surtout s’il fallait rectifier le manque de productivité de John, qui ne risquait pas de s’améliorer maintenant qu’il était mort.

Cette remarque lui valut quelques huées dans la foule mais il en fit facilement abstraction. Il n’allait pas laisser quelques mères de famille guindées l’empêchait de raconter la morale de leur histoire non plus.

- Au bout de quelques heures cependant, Dimitri réalisa avec surprise que le rendement des préparations de noël était revenu à la normale. Mieux même, il y avait une légère amélioration, et ce résultat, ils le devaient à un nouveau : Jimmy. Notre comptable se souvint alors de la magie qui régissait le pôle nord : un nombre constant de lutin s’y trouvait en permanence. La disparition de John avait donc généré la création d’un nouveau lutin, Jimmy, qui était beaucoup plus efficace dans son travail que son prédécesseur, dont personne n’avait remarqué la disparition ! En fait, Jimmy était tellement efficace, qu’il rattrapa sans peine le retard cumulé par l’atelier à cause de ce fainéant et que la grande distribution des cadeaux se déroula sans aucun accroc ! En fait, grâce à son acte, certes regrettable, Dimitri avait réussi à sauver Noël !!

Si sa conclusion était pleine d’enthousiasme, agrémentée d’un sourire de circonstance, le public face à lui ne semblait pas apprécier la bonne nouvelle. Les enfants semblaient confus à cause de l’histoire, les mamies du fond, visiblement bien réveillées maintenant, affichaient leur plus bel air indigné, quelques jeunes ricanaient dans leur coin et la colère apparaissait petit à petit sur le visage des mères de famille. Pendant quelques secondes, ce fut le calme plat, on n’entendait que la musique d’ambiance du centre commercial, jusqu’à ce qu’une vague de protestation ne retentisse.

- C’est un scandale !!!
- …dans un établissement familial, vraiment ! Ces gens n’ont aucune morale ! C’est une honte !!
- Ça va pas de raconter des trucs pareils !!! Vous avez pensé à nos enfants ?!?!?!

De toute part, ils se faisaient invectiver, mais ce n’était pas les seuls, les organisateurs de l’évènement en prenaient aussi pour leur grade, et plus particulièrement le lutin présentateur, qui se faisait accuser, et parfois insulter, pour les avoir laisser raconter leur histoire jusqu’au bout. Franchement, Gabriel s’était attendu à ce que leur histoire de meurtre ne plaise pas, mais il n’avait pas prévu une réaction aussi véhémente. Il ne savait pas comment réagir face à la colère de la foule qui ne cessait de croître, sauf que le pire était encore à venir. Un membre du staff tenta de calmer le public, en leur rappelant que ce n’était qu’un jeu, qu’il n’y avait aucune raison de réagir de cette façon, mais il se fit couper dans son élan par un paquet de rouleau de papier hygiénique qu’il reçut en pleine figure. Après ça, ce fut le chaos le plus complet, certaines personnes du public se battaient entre elles, d’autres lançaient des projectiles sur l’estrade, en les visant particulièrement.

Sur le coup, il n’eut aucune réaction, jusqu’à ce qu’il reçoive un paquet de céréales sur la pommette. Là, Gabriel se décida à bouger, entraînant Milka dans son sillage, et trouva refuge derrière une table en espérant qu’ils y seraient à l’abri. Le problème, c’était qu’ils n’étaient pas les seuls à avoir eu l’idée de se planquer là et que le lutin-présentateur s’y trouvait aussi, ricanant de la situation, à croire que ses nerfs étaient en train de lâcher. C’était peut-être parce qu’il se trouvait à côté de lui et non de Milka, mais l’animateur se tourna vers lui et en voyant la marque laissée par le coin du paquet, son rire reprit.

- Il n’y a rien de drôle ! s’agaça Gabriel d’un ton sec.
- Oh si, c’est beaucoup trop drôle ! Dommage qu’il ait ton oeil, ça t’aurait fait un souvenir ! C’est ce qui arrive quand on prend un malin plaisir à gâcher la joie et le noël de tout le monde ! D’ailleurs, tu veux pas y retourner, peut-être que tu te prendras une tomate en pleine poire cette fois ! proposa le lutin avec un sourire mauvais et un regard plein de mépris.

A l’entendre, on pourrait croire que Gabriel venait de gâcher le plus beau jour de sa vie, alors qu’il n’en était rien. Il n’avait jamais demandé à personne de réagir aussi violemment ! Alors certes, il avait espéré, secrètement, gâché ce jeu stupide, mais il n’aurait jamais cru qu’il y arriverait, surtout sans le vouloir ! Toute cette situation l’agaçait et le comportement du lutin n’arrangeait rien mais il s’efforçait de garder son calme. Il y parvenait même plutôt bien, jusqu’à ce qu’un Christmas Pudding survole la table derrière laquelle ils étaient cachés pour atterrir dans son dos et glisser jusqu’au sol, laissant une tâche derrière lui. Face à la scène, le lutin ricana encore plus fort, se moquant ouvertement de lui. N’y tenant plus, Gabriel décida de le faire taire et pour ça, il opta pour un poing dans la figure. Il n’était pas vraiment expert en bagarre, c’était plutôt le domaine de prédilection d’Ezra, mais il tapa suffisamment fort pour faire tomber le chapeau à grelots, laisser une marque au présentateur et se faire mal à la main au passage.